Avant de se lancer dans un nouveau produit, beaucoup d’équipes foncent tête baissée sur la solution.
On brainstorme des fonctionnalités, on fait des maquettes et on réalise trop tard que chacun a une idée différente de la cible ou de la valeur du produit.
Le Product Vision Board, imaginé par Roman Pichler, remet l’essentiel au centre. C’est une carte visuelle et collaborative qui relie la stratégie à la réalité du terrain.
En cinq cases simples, il aide les équipes à répondre à cinq questions cruciales :
- « Pour qui ce produit existe-t-il ? »
- « Quels problèmes résout-il ? »
- « Comment y répond-il ? »
- « Quelle valeur crée-t-il ? »
- « Et, in fine, quelle vision incarne-t-il ? »
C’est un outil d’alignement et de prise de recul. En une page, il expose le sens, les cibles, les besoins, la solution et la valeur business.
Il permet d’ancrer le discours produit dans du concret et d’aligner tous les acteurs du produit.
Dans cet article, je vous propose de découvrir comment l’utiliser étape par étape pour clarifier votre vision produit et aligner vos équipes avant de passer à l’action.
Au commencement est la vision produit
La vision produit est la boussole du produit qui permet d'aligner et de faire travailler tous les membres d’une équipe dans une même direction.
Mais formuler une bonne vision produit est toujours problématique, car elle nécessite une compréhension stratégique du marché et une transcription accessible pour l’équipe.
Le Product Vision Board vient justement combler cet écart. Il transforme une vision parfois abstraite en carte tangible et collaborative et permet un alignement rapide et régulier sur l’objectif du produit.
Un bon product vision board commence par la bonne équipe
Après avoir défini la vision produit, nous allons explorer le Product Vision Board.
Mais, avant même de remplir votre board, assurez-vous d’avoir les bons cerveaux autour de la table.
L’exercice gagne en richesse quand il rassemble :
- Le Product Owner ou la personne porteuse du besoin produit,
- Un ou deux membres techniques (Tech Lead, Dev senior),
- Quelqu’un du marketing ou de la relation client,
- Et, si possible, un utilisateur représentatif.
L’objectif est de croiser les perspectives dès le départ pour éviter une vision déconnectée du réel.
Prévoyez 1h30 à 2h.
Vous pouvez le faire sur un mur avec des post-its ou sur un board virtuel (Miro…)
Limitez le temps passé sur chaque colonne pour garder du rythme et éviter la sur-analyse.
Comment utiliser le Product Vision Board ?
Voici les 6 étapes à suivre pour clarifier votre vision produit :
Étape 1 - Identifier les segments utilisateurs
Tout commence par les utilisateurs cibles.
Un produit qui s’adresse à tout le monde finit par ne servir à personne.
Identifier les segments, c’est donner un visage humain à la stratégie.
L’objectif est de comprendre qui est vraiment concerné et quelles différences existent entre leurs attentes.
Dans la pratique, cette étape se fait souvent en atelier : on affiche un mur vide, on colle des post-it avec les types d’utilisateurs et on discute de leurs objectifs.
C’est un moment clé pour confronter les points de vue entre marketing, produit et technique.
Exemple : un outil de pilotage agile connecté à Jira.
Les segments utilisateurs correspondent directement aux rôles métiers pour lesquels le produit crée de la valeur.
Ces utilisateurs sont les profils qui vont utiliser l’outil au quotidien ou exploiter ses résultats pour mieux piloter leurs équipes :
- Manager Delivery : suivre la performance des équipes et anticiper les dérives.
- Product Owner : prouver la valeur business des livraisons.
- Responsable de Tribu : arbitrer les priorités entre squads.
- Scrum Master : détecter les blocages et fluidifier les sprints.
Chaque segment a ses propres critères de satisfaction et ses frustrations.
C’est en les distinguant qu’on évite de construire un produit « générique ».

Étape 2 - Comprendre leurs besoins
Une fois les segments posés, il faut creuser leurs « points de souffrances » ou « pain points » dans le jargon.
On quitte les suppositions pour formuler des problèmes observables.
L’objectif n’est pas encore d’imaginer des solutions, mais de formuler les irritants du quotidien.
Conseil :
Faites reformuler les besoins par les utilisateurs eux-mêmes.
Leurs mots valent de l’or et traduisent la réalité mieux que n’importe quelle user story.
Exemples typiques dans notre cas :
- « Le manager n’a pas de visibilité consolidée sur la vélocité des équipes. »
- « Le PO ne sait pas mesurer la valeur business d’une feature. »
- « Les responsables de tribu passent trop de temps à préparer les comités. »
- « Les données Jira sont éparpillées et peu exploitables. »
Chaque besoin doit être formulé comme une observation et non comme une demande (« Je veux un dashboard ! »)

Étape 3 - Imaginer la solution
C’est seulement maintenant qu’on parle de solution.
Trop d’équipes brûlent les étapes en démarrant ici alors qu’à ce stade, tout devient plus évident si on a suivi le bon cheminement.
Le but est de décrire la proposition de valeur :
« Comment le produit répondra aux besoins identifiés ? »
À ce moment du Product Vision Board, on ne cherche pas à détailler les fonctionnalités ni à concevoir des écrans, mais à formuler la logique de réponse :
Quelles grandes briques ou mécanismes vont permettre de résoudre les irritants observés chez les segments identifiés ?
Autrement dit, il s’agit de traduire les besoins en leviers de valeur : ce que le produit fera pour améliorer la situation des utilisateurs.
Exemples pour notre outil de pilotage agile :
- Tableaux de bord dynamiques par équipe ou tribu.
- Indicateurs automatiques de valeur business et de vélocité.
- Alertes intelligentes en cas de dérive de sprint ou d’écart de delivery.
- Exports visuels pour les comités et les parties prenantes.
Ce n’est pas un backlog mais une synthèse claire de ce que le produit va apporter.
Chaque fonctionnalité doit pouvoir être reliée directement à un besoin identifié.
- Dashboard consolidé par équipe → pour centraliser la visibilité et aligner les tribus.
- Rapports exportables → pour simplifier la communication aux parties prenantes.
- Alertes sur dérive de vélocité → pour détecter rapidement les risques de décalage.
- Intégration Jira (KPI par epic) → pour relier les indicateurs aux données réelles du terrain.
C’est le cœur de la logique produit, soit un lien explicite entre problème, solution et impact.

Étape 4 - Définir la valeur business
Un produit, même utile, ne suffit pas. Il doit créer de la valeur pour l’entreprise.
Cette étape doit mettre en évidence des bénéfices mesurables.
Exemples :
- Réduction de 30 % du temps de préparation des comités de pilotage.
- Amélioration de la qualité des décisions de priorisation.
- Meilleure satisfaction des managers grâce à une vision en temps réel.
Chaque objectif doit être formulé comme une hypothèse vérifiable.
Dans notre exemple :
- Réduire de 30 % le temps de préparation des comités : Nous pensons que l’automatisation des rapports permettra de diminuer de 30 % le temps consacré à la préparation des comités de pilotage.
- Accélérer les décisions de priorisation : Nous pensons que la visualisation en temps réel des indicateurs clés permettra de réduire les délais de décision sur les arbitrages de priorités.
- Renforcer la visibilité sur les risques delivery : Nous pensons que les alertes sur les dérives de vélocité permettront d’identifier plus tôt les écarts et d’agir avant impact sur le planning.
- Améliorer la satisfaction des managers : Nous pensons que la mise à disposition d’une vue consolidée et fiable du portefeuille augmentera la satisfaction des managers et leur confiance dans les données de pilotage.
Astuce :
Faites valider ces hypothèses auprès des sponsors business dès le départ. Cela évitera les divergences plus tard sur ce qu’est la réussite du produit.
C’est ici que le Product Vision Board devient un pont entre valeur utilisateur et valeur entreprise.

Étape 5 - Clarifier la vision produit
La vision n’est pas qu’une phrase marketing, mais c’est aussi la boussole stratégique du produit.
- Elle synthétise tout ce que le board a fait émerger, soit les cibles, leurs besoins, la solution proposée et la valeur attendue.
- Elle exprime le changement que le produit rend possible.
Exemples :
- Permettre aux équipes et aux dirigeants de piloter la performance du delivery via des indicateurs consolidés et fiables.
- Donner aux techniciens terrain la capacité de résoudre les incidents plus vite grâce à une application simple et connectée.
- Aider les décideurs à se concentrer sur la valeur et moins sur les reportings.
Une bonne vision produit est courte, inspirante et compréhensible par tous.
Elle décrit pourquoi on fait les choses.

Étape 6 - Aligner et itérer
Le Product Vision Board n’est pas un document figé, mais un outil de dialogue.
Il doit vivre au rythme des découvertes, des pivots et des retours terrain.
- Il faut organiser des ateliers collaboratifs autour du board (PO, PM, UX, Tech).
- Réviser le board à chaque étape clé du produit.
- En faire un artefact vivant intégré au cycle de développement.

5 erreurs fréquentes sur le Product Vision Board
Même si le Product Vision Board paraît simple, il cache plusieurs pièges classiques.
Les éviter permet de gagner en clarté et surtout en adhésion de l’équipe.
1) Commencer par la vision sans comprendre les segments
C’est l’erreur la plus courante. Beaucoup veulent formuler la vision dès le départ, souvent sous pression du management alors qu’elle devrait émerger du travail sur les utilisateurs et leurs besoins.
Au final, on obtient une phrase creuse, du type « devenir la référence du reporting agile », sans savoir pour qui ni pourquoi.
La vision est la synthèse de la connaissance acquise sur les segments, les besoins, la solution et la valeur business.
2) Confondre besoin et solution
« Je veux un dashboard » n’est pas un besoin, c’est déjà une solution.
Le besoin réel, c’est peut-être « Je ne sais pas où j’en suis dans mon sprint » ou « Je perds du temps à consolider mes données ».
Confondre les deux conduit à construire des fonctionnalités séduisantes, mais inutiles.
Il faut toujours revenir à l’observation terrain : qu’est-ce que la personne essaie vraiment d’accomplir ?
3) Trop vouloir détailler
Un Product Vision Board n’est pas un backlog ni une roadmap.
Il ne s’agit pas d’y lister 30 fonctionnalités, mais de garder l’essentiel, soit la promesse du produit.
Un board trop chargé perd son pouvoir de communication et devient vite obsolète.
Si on ne peut plus le lire en 2 minutes, c'est qu’il est trop détaillé.
4) L’oublier après l’atelier
Certaines équipes remplissent le board une fois, le prennent en photo et ne le rouvrent jamais.
C’est une erreur fatale. Le PVB doit évoluer avec le produit, ses apprentissages et ses pivots.
Intégrez sa mise à jour dans vos rituels : revue de vision produit, release planning ou PI Planning.
5) Le faire seul
Un Product Owner qui le rédige seul dans son coin crée un artefact stérile.
L’intérêt du board, c’est le dialogue qu’il provoque (comme souvent en agile d’ailleurs).
Confrontez les points de vue : produit, tech, métier, UX et même utilisateurs.
C’est ce débat qui donne sa force à l’outil.
Bonnes pratiques d’atelier
Un atelier Product Vision Board réussi, c’est un savant mélange de rythme, de cadrage et d’ouverture.
Voici quelques repères pour en tirer le meilleur.
1) Rythmer les séquences
Limitez le temps : 10 minutes par colonne maximum.
Ce timeboxing force la clarté et évite de tourner en rond.
Si un sujet mérite un vrai débat, notez-le pour y revenir plus tard.
2) Faire voter sur les formulations finales
Une fois chaque colonne remplie, faites voter les participants avec des pastilles de couleur (ou des réactions virtuelles sur Miro).
Cela permet de converger sans imposer un point de vue hiérarchique et fait émerger les formulations les plus parlantes.
3) Photographier le board à chaque version
Le PVB évolue, alors gardez une trace de chaque itération.
Cela permet de montrer le chemin parcouru, utile en rétrospective ou lors d’une présentation à des sponsors.
En digital, créez une version datée ou versionnée à chaque mise à jour (ex : PVB_v1.1, v1.2, ...).
4) Revenir dessus à chaque release majeure
Le Product Vision Board est un artefact vivant.
Planifiez un moment pour le revisiter à chaque jalon clé (nouvelle version, pivot, feedback fort du marché…).
Cela entretient l’alignement et évite les dérives de sens au fil du temps.
5) Confronter la vision au terrain
Une vision ne vaut rien si elle reste théorique.
Testez-la auprès de vos utilisateurs :
- correspond-elle à leur réalité ?
- leur parle-t-elle ?
- traduit-elle bien la valeur qu’ils perçoivent ?
Ces échanges permettent d’ajuster le « wording » et parfois même la stratégie.
6) Laisser la place à l’émotion
Un bon atelier ne se résume pas à cocher des cases.
La vision produit doit inspirer.
Prenez un moment pour demander à chacun : « Qu’est-ce qui vous donne envie dans ce produit ? »
Cette dimension émotionnelle est souvent ce qui soude durablement l’équipe autour d’un même objectif.
5 questions pour poser les bases de votre vision produit
Le Product Vision Board sert de guide pour structurer la réflexion produit.
Il synthétise sur une seule page les éléments essentiels :
- à qui s’adresse le produit,
- quels problèmes il résout,
- comment il y répond,
- quelle valeur il crée,
- et quelle vision il incarne.
Le tableau ci-dessous résume ces cinq dimensions clés :
Élément | Question clé | Contenu attendu | Exemple |
|---|---|---|---|
Segments utilisateurs | Pour qui ? | Personas ou groupes cibles | Manager Delivery, Product Owner |
Besoins | Quels problèmes résoudre ? | Pain points précis et mesurables | Manque de visibilité, absence de valeur perçue |
Solution | Comment y répondre ? | Proposition de valeur et fonctionnalités clés | Dashboard KPI, alertes, synthèse automatisée |
Valeur business | Qu’est-ce que cela apporte à l’entreprise ? | Bénéfices attendus, métriques de succès | Gain de productivité, décisions plus rapides |
Vision | Pourquoi ce produit existe-t-il ? | Ambition, transformation souhaitée | Permettre aux équipes de piloter leur agilité grâce à la donnée. |
Conclusion
Le Product Vision Board est un outil stratégique et collaboratif qui relie vision et exécution.
Il permet à chaque membre de l’équipe de comprendre :
- le sens du produit,
- ses utilisateurs,
- les problèmes qu’il résout,
- la solution proposée,
- et la valeur qu’il génère.
Maintenu vivant et itéré régulièrement, il devient la boussole de toute initiative produit, facilitant la création d’un Product Goal, d’une roadmap et d’un cadre de mesure de la valeur.
Sa force réside dans sa simplicité visuelle et son approche structurée qui permettent à tous les acteurs d’aligner leurs efforts vers un objectif commun.
Le Product Vision Board s’intègre naturellement avec d’autres artefacts agiles comme le Product Goal de Scrum, le Lean Canvas pour les startups ou encore la Product Vision Box issue du Design Thinking.
Tous partagent une même ambition, celle de rendre visible le « pourquoi » avant de décider du « comment ».
Enfin, un bon Product Vision Board n’est pas un livrable figé, mais un cadre de décision partagé qui soutient les arbitrages produits et incarne la vision commune guidant l’équipe et le produit vers la réussite.







