Vendredi matin, 9h15, dans l'open space.
Nicolas, le commercial, vient me voir, il a travaillé la veille au soir sur une avant-vente et a déjà commencé la rédaction de la proposition commerciale associée.
Le client est un opérateur Télécom. Il s'agit de réaliser une partie de l'interface utilisateur de la "Box internet", le boîtier fournissant les services de téléphonie, télévision et internet.
L'utilisateur doit pouvoir réaliser des opérations relativement simples de commande de matériel additionnel ou d'activation de service.
Un utilisateur peut par exemple commander un boîtier supplémentaire pour pouvoir regarder la télévision dans une chambre.
D'un point de vue technologique, rien de bien compliqué, dans le sens où ça rentre dans les compétences des équipes.
Les difficultés proviennent plus des contraintes du client associées au projet :
- Un engagement fort : le client souhaite du forfait, du résultat avec des pénalités de retard
- Un périmètre de projet pas forcément clair, on sait qu'il y a des écrans à créer mais on ne sait pas nécessairement combien exactement, ni avec quelle complexité
- Une méthode de type Cycle en V : spécifications, réalisation, recette
- Un délai de 9 semaines, pré-estimé par le client
- Une présence sur place, dans les locaux du client de la personne pressentie sur le projet
Derrière le formalisme de l'appel d'offre, en gros, pour faire simple, le client a besoin d'une personne pour 45 jours, dans ses locaux pour effectuer un travail plus ou moins à définir ..
Nicolas me dit pour me rassurer : « C'est un petit projet, ça va le faire ! ».
Certains pensent que les petits projets sont plus faciles. Si vous prenez 4 jours de retard, ça paraît peu mais sur un projet de 40 jours, vous êtes déjà à 10% de dépassement .. Le moindre 'hic' et vous sortez des rails avec très peu de marge de manœuvre pour revenir dessus. Autant dire qu'il faut toujours être vigilant, ce n'est pas la taille qui compte ! 🙂
Engagez-vous qu'ils disaient !
Sur ce projet, je suis chargé d'accompagner Julien, un consultant qui souhaite devenir chef de projet. J'aime bien clarifier les choses rapidement pour bien faire comprendre les principaux types d'engagement que l'on peut avoir sur les projets. Voilà ce que je disais à Julien : « Je suis le prestataire, tu es le client. »
Je lui dis que l'engagement de moyen, c'est s'engager à fournir les compétences et ressources pour atteindre l'objectif : « Tu as 4 murs à peindre, je m'engage à te fournir des peintres et des pinceaux, à toi de voir avec ensuite. Le résultat est sous ta responsabilité. »
Puis je continue : « Un engagement de résultat, par exemple c'est dire que si je m'engage à te peindre 4 murs en 3 heures, si finalement il m'en faut 5, tu n'en paieras quand même que 3. Le résultat est sous ma responsabilité.
Et s'il y a des pénalités de retard, peut-être que tu paieras même encore moins que prévu puisque j'ai mis 2 heures de plus …
C'est donc un engagement fort de ma part de proposer de faire le travail au forfait. »
« Et une fois que l'engagement est validé, on ne peut plus revenir dessus ? », me demande Julien.
« Un prof d'économie m'a dit un jour « Tout est négociable » . Donc il n'y a pas de raison. Basculer d'un engagement de moyens à un engagement de résultat, pourquoi pas donc, le client ne veut plus avoir la responsabilité du résultat, ça peut se comprendre. Mais l'inverse, c'est vraiment improbable … »
Ce projet allait me donner tort par la suite …
Un engagement de résultat marche dans les deux sens
Julien me répond : « Mais c'est vraiment risqué le forfait alors, quoi qu'il arrive c'est pour la pomme du prestataire ! ».
« Oui … et non ! »
Une erreur communément faite par les clients, les mandataires, c'est de croire que l'engagement est à sens unique dans un projet au forfait :
« Je vous paie 100 euros et vous me peignez les 4 murs pour demain soir ! Ciao, je retourne au golf ! ».
Je caricature mais pas loin ..
Car pour tenir l'engagement de résultat, le prestataire a souvent besoin de prérequis en temps et en heure pour pouvoir atteindre les objectifs de budget, de délai, de qualité, etc.
Par exemple, un prérequis pour les travaux de peinture c'est d'avoir accès à la pièce en question et donc que le client fournisse la clé. Sans clé, pas d'accès et pas de peinture possible. De même, le choix de la couleur doit être fait. Si on commence avec du bleu et que finalement le client veut du rouge, l'équipe est partie pour recommencer, à notre charge !
« Et c'est là que tu interviens, toi, le chef de projet ! », et je pointe du doigt Julien.
« C'est à toi de faire en sorte que le client fasse son travail également. Car si le client est en retard, le projet sera également en retard, ce ne sera pas de ta faute mais bien celle du client. Encore faut-il bien le mettre en évidence ! sinon tu risques les pénalités de retard .. »
« Oui mais comment ? », me répond Julien, un peu anxieux.
« Je vais te montrer comment pendant ce projet, et ce, dès la proposition commerciale. »
La question du périmètre et de la méthode
Viennent ensuite la question du périmètre et de la méthode à suivre.
Le forfait, généralement c'est rigide. On s'engage sur un résultat dès le début. Vouloir changer le résultat en cours de route, c'est très souvent compliqué et il faut tout re-négocier ou presque.
Je promets de repeindre 4 murs en 3 heures. Dans ma proposition commerciale, j'ai peut-être précisé 4 murs de taille standard pour une maison de type résidentiel. Si je dis juste 4 murs, le client pourrait me sortir une usine de 1500m², et je ne pourrais rien dire dans l'absolu.
Je caricature un peu mais dans le monde "virtuel" de l'informatique, y'a souvent un effet « iceberg » : le client veut réaliser la partie émergée sans se rendre compte que la partie immergée est gigantesque.
Il peut aussi y avoir diverses contraintes : il s'avère qu'un mur est rempli de bibelots que le client ne souhaite pas démonter (y'en a tellement vous comprenez), sauf que du coup c'est beaucoup plus long de peindre autour des bibelots, que de les démonter, peindre tout le mur et les remonter ensuite.
Julien s'inquiète du coup : « On ne peut pas s'engager au forfait alors, le périmètre n'est pas assez clair ! ».
« Rares sont les clients à avoir un périmètre vraiment clair avant le démarrage du projet, donc l'exercice pour le chef de projet consiste à cadrer le projet un maximum dans la proposition commerciale, puis ensuite tout au long du projet, notamment au moment des spécifications. »
Je conclus en lui disant : « Ce n'est pas une négociation de 5 minutes, c'est plutôt une négociation-marathon en quelque sorte. »
Au fond de moi, j'ai le sentiment que la phase de spécifications va être « rock'n'roll » et qu'il va falloir s'accrocher. Surtout avec la dernière grosse contrainte ..
A l'extérieur ou à domicile : les deux mon capitaine !
Cette contrainte c'est la présence sur place du consultant qui allait réaliser le projet. En gros, le client demande à avoir le consultant au bureau en face de lui.
On en discute donc avec le client et Nicolas, le commercial.
La raison invoquée ? Un accès aux plateformes de développement dans les locaux du client.
Raison officieuse, pouvoir le voir travailler et traiter avec lui en direct sans passer par le chef de projet. C'est un mode de fonctionnement régie dans sa tête.
C'est un peu avoir les avantages de chaque monde : la souplesse de la régie et l'engagement du forfait. Même si je peux comprendre, je ne suis pas tout à fait d'accord :-). Et bien sûr, il est hors de question d'affecter un chef de projet à plein temps sur place pour gérer une seule personne, on ne rentrerait pas dans le budget du client.
J'en discute avec Nicolas, le commercial, il essaie de me rassurer sur le fait que le client lui semble raisonnable et comprend bien notre problématique.
Je lui réponds avec un sourire en coin : “Mouuais ..”
Le client ne va pas certainement pas dire le contraire de toute façon ..
Nicolas me fait savoir que c'est quasiment dans la poche pour peu que le profil de Julien leur convienne et que le tarif soit dans leur grille. On va donc voir le responsable opérationnel pour avoir son avis sur le positionnement de Julien sur ce projet.
Julien, je le connais bien en réalité, il a fait son stage de fin d'étude sur l'un de mes premiers projets. Il était du genre créatif, toujours plein d'idées, toujours plein d'entrain, touche à tout, débrouillard, ce qui peut s'avérer à la fois très utile et à la fois un peu délicat sur un projet au forfait. Mais sa volonté de progresser vers le rôle de chef de projet peut l'amener à se responsabiliser.
Je fais tout de même part de mon inquiétude car déjà en temps normal sur un projet au forfait « chez nous », je pourrai avoir du souci, mais si Julien est en plus chez le client, ça devient presque dangereux pour nous.
Mon inquiétude est entendue mais de toute façon nous n'avons pas le choix, c'est Julien ou on perd l'affaire Et puis c'est l'occasion de le coacher de manière serrée sur la partie chef de projet.
Julien, ce sera, donc.
Du coup je cadre l'avant-vente avec lui, je demande un maximum d'infos au client, prépare une liste de prérequis, un planning précis associé, bref, je prépare toutes mes cartes pour jouer au grand jeu de la gestion de projet !
La proposition est envoyée.
Le client l'accepte.
Démarrage dans 3 jours.
Bon ben quand faut y aller, faut y aller. ..
La suite au prochain épisode : démarrage du projet !
-Jean-Philippe
Bonjour « Aspirant chef de projet », merci pour les commentaires !
Je dirais que c’est plutôt vous qui n’aviez pas de chance .. !
j’oubliais, il a de la chance julien de vous avoir comme chef de projet.
j’en ai eu qui n’étaient même pas présents lors des réunions call-conf de crises pour expliquer au client, pourquoi le projet part en c……
c’est captivant !
merci de partager.
curieux aussi pour la suite ;O)
Curieux de lire la suite