Valeur Agile : comment construire une vraie collaboration client, au-delà du contrat

Dans les projets traditionnels, la relation client est souvent basée sur un contrat précis, détaillant les délais, coûts, et livrables et autres cahiers des charges.

Ce modèle repose sur une hypothèse fragile, celle de la prévisibilité totale. 

Il sanctionne les écarts par des pénalités financières, ce qui pousse clients et fournisseurs à se surprotéger avec des clauses défensives pour entrer dans une logique de défiance plus que de collaboration.

"La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle" est l’une des quatre valeurs du Manifeste Agile, mais elle reste souvent incomprise ou vidée de son sens.

Dans cet article, je vous montre comment rendre cette valeur Agile concrète, les pièges à éviter et les leviers pour construire une vraie collaboration.

guide gestion projet agile
le guide gestion agile

Que signifie vraiment "collaborer avec les clients" ?

La démarche agile propose un cadre de collaboration souple, transparent et évolutif.

Il ne s'agit pas de renoncer au contrat, mais de le considérer comme un support à une relation dynamique et de confiance.

Concrètement, collaborer avec le client c’est :

  • Partager une vision commune du produit qu’il convient bien évidemment de définir avant de commencer (via un atelier Lean Canvas, Product Vision Board ou un Elevator Pitch par exemple).
  • Prendre des décisions ensemble, au fil des évolutions et lors des rencontres comme la Sprint Review ou le Sprint Planning.
  • Accepter que les besoins changent, sans dramatiser.

Ici le travail se trouve essentiellement côté équipe et nécessite une architecture et un code robuste favorisant cette flexibilité.

Travailler en confiance et en transparence qui sont deux piliers intrinsèquement liés de l’agilité.

Ce qui fait échouer une collaboration client en mode agile

Voici une situation vécue qui illustre les erreurs courantes à éviter.

Je me souviens de mon premier contrat agile que j’avais accompagné en tant que Scrum master débutant…

Nous avions remporté un appel d'offres avec une belle maquette et un contrat agile à la clé.

Nous étions tous excités et tous les voyants semblaient au vert.

Mais très vite, les difficultés ont commencé :

  • 4 mois de négociation contractuelle interminables : 4 mois de discussion juridique pour un projet initialement prévu sur 3 mois… y avait-il un problème de confiance ? C’est d’autant plus dommage que sur cette période, nous aurions terminé le produit et le client aurait pu en retirer ses premiers bénéfices.
  • Un forfait valeur, mais aucune valeur clairement formulée : Tout reposait sur une maquette initiale… qui ne ressemblera jamais au produit final.
  • Un PO sans expérience ni pouvoir décisionnel. Nous avons dû le coacher en lui adjoignant un proxy PO. Ceci nous a donc occasionné une charge supplémentaire mais le comble, c’est que ce point a été utilisé par le client pour se décharger de certaines responsabilités.
  • Des revues plénières avec 20 représentants du client. Tout le monde avait son avis, nous avons pris en compte ces feedbacks bien évidemment mais malheureusement le vrai décideur n'est apparu qu'à la fin pour rejeter le produit qu’il n’avait jamais vu auparavant.

En conséquence, le projet a dérapé, le budget a explosé, et la frustration a été générale. 

Un parfait contre-exemple d'une collaboration agile.

préparation certification PSM I
Certification scrum PSM I

Comment mettre en œuvre une vraie collaboration client en mode agile ?

Une collaboration client efficace en mode Agile se construit dès les premières étapes du projet.

Voici quatre leviers essentiels pour ancrer cette valeur dans le quotidien des équipes :

1) Alléger le contrat, renforcer le cadre de collaboration

Un contrat agile doit-être simple, complété éventuellement par un Plan d’Assurance Qualité Agile.

Il fixe le cadre (cadence, rôles, revues, feedbacks), sans sur-définir les livrables.

S’il devient trop rigide, autant revenir à un contrat classique.

2) Identifier les vrais décideurs et leurs compétences

Il est crucial de nommer dès le départ les personnes ayant l’autorité de trancher.

Le PO (ou tout autre responsable produit) est la pierre angulaire d’un bon produit car c’est lui qui identifie ce qui va apporter le plus de valeur.

Imaginez un chantier de construction avec une brouette contenant des briques en or et en terre cuite, et une équipe qui attend ces briques pour construire une maison.

C’est le PO qui va donner les briques à l’équipe pour construire une maison à forte valeur.

Le bon PO va passer en premier les briques en or à l’équipe, à condition qu’il ait le pouvoir de choisir et qu’il sache identifier la valeur.

Malheureusement, il est trop souvent sous estimé, sans pouvoir, ni vision produit.

Il est parfois même appelé Proxy PO pour assumer le fait qu’il n’est présent que pour expliquer à l’équipe ce qui doit-être fait sans pouvoir de décision, ni vision stratégique.

Un bon Product Owner doit connaître le métier, être formé à l’agilité, avoir un pouvoir de décision réel, sinon le PO dépendant d’un comité pour chaque choix ralentit tout le projet.

3) Définir la valeur qui constitue l’essence même du produit

On parle de valeur depuis le début de cet article, mais qu’est-ce que c’est ?

La valeur, c’est tout ce qui apporte un bénéfice concret à l’utilisateur final. Elle peut-être :

  • fonctionnelle comme un nouvel outil,
  • ergonomique comme une interface revisitée,
  • technique ou sécuritaire comme la correction d’une faille de sécurité ou le rachat d’une dette technique, …

En clair, si le client est prêt à payer, c’est qu’il y voit une valeur.

Pour définir cette valeur et engager les éléments les plus intéressants, il existe différentes options.

Vous pouvez choisir certains critères, chacun avec un poids spécifique, puis on les cumule pour obtenir un score de valeur.

Voici un exemple de critères :

  • ARR (Annual Recurring Revenue) généré par la nouvelle fonctionnalité.
  • Taux de rétention amélioré (les utilisateurs restent plus longtemps).
  • Gain de sécurité (ex. : réduction d’un risque juridique ou technique).
  • Timing / opportunité marché (est-ce le bon moment ?).
  • Coût du délai (ce que nous perdons tant que nous ne réalisons pas la fonctionnalité / correctif)…

Ce système permet une comparaison rationnelle entre chantiers, mais nécessite des données fiables et une pondération partagée par tous.

Exemple 1 – Grille d’évaluation pour comparer la valeur de plusieurs fonctionnalités

Une équipe produit doit choisir entre plusieurs chantiers à lancer.

Elle utilise les critères définis collectivement pour évaluer la valeur de chaque option.

Grille d’évaluation valeur de plusieurs fonctionnalités

Exemple 1 – Grille d’évaluation pour comparer la valeur de plusieurs fonctionnalités

  • Chaque critère est noté sur 3.
  • Le poids entre parenthèses reflète son importance dans le contexte.
  • Le score total permet d’identifier la fonctionnalité à plus forte valeur business.

Vous pouvez aussi opter pour un atelier participatif comme « Buy A Feature ».

Dans cet atelier :

  • Vous définissez les chantiers à prioriser.
  • Vous invitez un panel de décideurs représentatifs (commerce, marketing, Product Managers, clients, utilisateurs, stakeholders, …).
  • Vous leur distribuez un nombre limité de billets fictifs.
  • Chacun va « acheter » les fonctionnalités qu’il juge prioritaires… mais il ne peut pas tous se payer. 
  • Chacun va donc être obligé de retenir les chantiers les plus importants selon lui.

Exemple 2 – Atelier « Buy a Feature » pour faire émerger la valeur perçue

Autre méthode : on organise un atelier avec des décideurs (métier, technique, client…) et on leur distribue des billets fictifs.

Ils doivent « acheter » les fonctionnalités qu’ils jugent les plus importantes, en fonction de leur propre perception de la valeur.

Atelier « Buy a Feature » pour faire émerger la valeur perçue

Exemple 2 – Atelier « Buy a Feature » pour faire émerger la valeur perçue

Avec le bon panel et les discussions qui vont se produire, vous allez faire émerger rapidement votre valeur business.

A vous de retenir votre formule pour déterminer votre valeur et vous pourrez commencer à comparer vos chantiers et à engager les plus importants.

4) Construire une relation de confiance et de feedback

Le contrat n'est pas une protection, c'est un support.

Une vraie collaboration se fonde sur l'échange régulier, la transparence et la coresponsabilité.

Ce climat se construit dans la durée, en démontrant régulièrement des incréments de produit à forte valeur. 

Mais il faut absolument que les clients, ou parties prenantes, jouent le jeu en faisant participer les décideurs à l’aventure et en assumant les choix faits au fil de l’eau.

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"Money for Nothing, Change for Free"

Ce modèle contractuel proposé par Jeff Sutherland apporte une réponse originale à la rigidité des contrats classiques.

Il repose sur deux idées simples :

  1. Change for Free : le client peut remplacer librement des fonctionnalités par d’autres, à charge de travail équivalente.
  2. Money for Nothing : si le client souhaite arrêter le projet parce que la valeur cible est déjà atteinte, il verse une prime de clôture prévue au contrat (souvent 20 % du reste à faire).

Dans la figure ci-dessous, on retrouve le backlog sur la droite, priorisé selon la méthode MoSCoW (Must, Should, Could et Won’t have) :

Modèle contractuel : Money for Nothing, Change for Free

Modèle contractuel : Money for Nothing, Change for Free

On fixe un seuil de 80 % de valeur atteinte, au-delà duquel le client pourrait acter d’une fin de contrat anticipé, car il jugerait la valeur atteinte comme suffisante pour mettre le produit en production.

Et avant d’avoir atteint ce seuil, le client s’autorise à remplacer des éléments de poids équivalent, souvent défini en termes d’effort.

En effet, le client voyant le produit se construire lors de chaque itération, il peut ressentir l’émergence de nouveaux besoins ou considérer que certains éléments considérés autrefois comme importants sont désormais moins intéressants.

Ce type de contrat favorise l’engagement, la flexibilité, et la création de valeur, sans alourdir les discussions juridiques.

Conclusion

Collaborer avec le client, ce n’est pas lâcher prise sur les engagements.

C’est choisir de construire le produit ensemble et pas à côté ou contre lui.

C’est reconnaître que la confiance, le feedback et l’implication directe des décideurs sont plus efficaces que les clauses contractuelles.

Dans un contexte agile, le contrat doit être un outil de dialogue, pas un bouclier.

Le Product Owner client joue un rôle clé et doit être compétent, disponible et décisionnaire.

Une agilité sans vraie collaboration n’est qu’une illusion. Et cette illusion mène aux mêmes déconvenues que les anciens modèles.

Pire encore, elle entretient le faux-semblant d’un changement, alors qu’au fond, rien n’a bougé.

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Alexandre WATTIEZ

A propos de l'auteur

Alexandre a commencé comme développeur avant de passer 20 ans en gestion de projet classique.

Il y a 8 ans, il découvre l’agilité : une révélation.

Depuis, il accompagne la transformation agile d’organisations avec une approche humaine, systémique et pragmatique.

Coach agile, formateur et ancien Head of Agile d’un centre de 7 coachs, il a guidé de nombreuses équipes vers plus de collaboration, de clarté et d’efficacité.

Il intervient sur l’optimisation du delivery, le coaching à l’échelle et les audits agiles.

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