Gérer les conflits interculturels : Bonnes pratiques (+Exemple)

Un projet n’est jamais une « initiative » simple. 

Par définition du PMBOK®, c’est un « effort temporaire entrepris pour créer un produit, service ou résultat unique ».

Parfois, un conflit, une divergence d’opinion apparait. Ceci est toujours un défi, même dans une équipe locale et homogène.

Dans le cas d’une équipe multiculturelle, la gestion des conflits interculturels est un sujet sensible, qu’il faut affronter correctement, en tenant compte de la complexité du contexte. 

La version 7 du PMBOK® met en avant le fait qu’un projet est par essence complexe : « se frayer un chemin dans la complexité ». 

Dans cet article, vous trouverez une proposition d’approche pour gérer au mieux ce genre de situation.

Comprendre les conflits interculturels : 3 caractéristiques

Dans le monde complexe des relations humaines, les conflits interculturels émergent souvent des différences profondément enracinées entre les cultures. 

Comprendre les caractéristiques distinctes des cultures est essentiel pour saisir et gérer ces tensions. 

Nous utiliserons le mapping tools de Erin Meyer, qui souligne l'importance de trois caractéristiques fondamentales des cultures dans la compréhension des conflits :

  1. Le contexte de la communication
  2. Le type de confiance (Action, Relation)
  3. La propension à la confrontation
kit du chef de projet 0923
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Voyons chacune de ces caractéristiques en détail :

1) Contexte Fort, Contexte faible

Dans certaines langues et cultures, une partie du message se trouve dans le contexte de la conversation, dans le non verbal.

Il y a donc sujet à interprétation.

Exemple :

La culture Japonaise étant à « haut contexte », il sera nécessaire de clarifier, de reformuler, de comprendre beaucoup plus que dans les cas des Nord-Américains qui sont plus précis dans leur communication.

Il est essentiel de garantir la compréhension et la clarté.

Utilisez la reformulation, n’hésitez pas à confirmer la compréhension de chacun.

2) Confiance

Lorsque la confiance se base plus sur la relation (Japon, Maroc suivant l'exemple ci-dessous), il faut prendre en compte que préserver une relation peut être considéré comme plus important que résoudre un problème ponctuel ou simplement être objectif.

La durée, la qualité de la relation sont très importantes, et on peut parfois avoir tendance à vouloir « minimiser » un problème plutôt que de porter préjudice à une relation.

Lorsque la confiance se base sur l’action (USA suivant l'exemple ci-dessous), le sujet pourra être critique dans le contexte spécifique du projet, mais sans conséquence sur le futur ou la relation entre les personnes.

Nous avons ici un paradoxe à accepter :

Les méthodologies de gestion de projets sont essentiellement issues de cultures anglosaxonnes, privilégiant la confiance basée sur l’action et sur l’approche objective et rationnelle.

En tant que francophones, nous avons plus une confiance basée sur la relation.

3) Propension au conflit

Dans l'exemple ci-dessous, la confrontation n’est pas un sujet difficile pour des Français ou des Allemands, alors que c’est très compliqué pour des Japonais.

Cela est vrai au niveau culture, mais également au niveau individu ; certains acceptent plus facilement la confrontation directe, le fait d’être publiquement critiqué que d’autres.

Dans le contexte de la gestion des équipes projet délocalisées, il est crucial de tenir compte de la diversité culturelle lors de l'analyse des causes de conflits au sein d'une équipe multiculturelle

Lors de réunions orientées vers la compréhension de l’origine du conflit, faites en sorte que tout le monde s’exprime et que l’atmosphère reste « pacifique ».

Lors des discussions individuelles avec les parties prenantes, prenez en compte le fait que certaines personnes n’exprimeront pas explicitement un désaccord ou une critique envers des collègues.

Exemple de cartographie de conflits interculturels

Voici un exemple pour la France, les Etats-Unis, le Maroc, l’Allemagne et le Japon :

conflit interculturel projet

1) Légende :

Communication :

  • Bas contexte : La communication est directe, simple et claire. Les messages sont compris littéralement et la répétition est valorisée pour clarifier.
  • Haut contexte : La communication est sophistiquée et nuancée. Les messages sont souvent implicites et lus entre les lignes.

Évaluation :

  • Feedback Négatif Direct : Les critiques sont directes, franches et honnêtes, souvent exprimées en public sans être adoucies par des commentaires positifs.
  • Feedback Négatif Indirect : Les critiques sont douces et subtiles, souvent privées et enveloppées dans des messages positifs.

Leadership :

  • Égalitaire : Peu de distance hiérarchique, structures organisationnelles plates, et communication transversale.
  • Hiérarchique : Grande distance hiérarchique, structures multilayered, et communication suivant des lignes hiérarchiques strictes.

Décision :

  • Consensuelle : Les décisions sont prises en groupe par accord unanime.
  • Top-down : Les décisions sont prises par des individus, généralement le supérieur.

Confiance :

  • Basée sur les Tâches : La confiance se construit à travers des activités professionnelles et des relations de travail pratiques.
  • Basée sur les Relations : La confiance se construit à travers le partage de moments personnels et se développe lentement.

Désaccord :

  • Confrontation : Les désaccords et débats sont vus positivement, et la confrontation ouverte est appropriée.
  • Évite la Confrontation : Les désaccords sont négatifs, et la confrontation ouverte est inappropriée et nuisible à l'harmonie de groupe.

Planification :

  • Temps Linéaire : Approche séquentielle des projets, avec une grande importance accordée aux échéances et à l'organisation.
  • Temps Flexible : Approche fluide des projets, avec une grande importance accordée à l'adaptabilité et à la flexibilité.

Persuasion :

  • Principes d'abord : Présentation d'abord de la théorie ou du concept complexe avant les faits.
  • Applications d'abord : Présentation d'abord des faits ou opinions, suivie de concepts pour expliquer ou soutenir la conclusion.

2) Interprétation du schéma

Les lignes et les points de couleur représentent les caractéristiques ou les comportements typiques attribués à chaque culture dans un contexte professionnel ou organisationnel.

2.1. Communication

Le Japon est marqué comme étant de "haut contexte", suggérant que dans la communication japonaise, beaucoup d'informations sont comprises dans le contexte et non exprimées explicitement.

La France et le Maroc ont des lignes qui convergent vers le point "Indirect Negative feedback", indiquant une préférence pour une approche indirecte dans la critique.

2.2. Leadership

L'Allemagne et les États-Unis sont reliés au terme "Egalitarian", ce qui suggère un style de leadership plus égalitaire.

Par contre, la France, le Maroc et le Japon sont plus proches de "Hierarchical", indiquant une structure de leadership plus traditionnelle et stratifiée.

3.2. Décision

La connexion entre le Maroc et "Top-down" suggère que les décisions y sont souvent prises par les personnes en haut de la hiérarchie.

Le Japon est lié à "Consensual", ce qui pourrait signifier que les décisions sont souvent prises par consensus.

3.3. Confiance

L'Allemagne et le Japon sont associés au terme "Task-based", impliquant que la confiance est bâtie à travers l'accomplissement de tâches et de travaux.

La France est située près de "Relationship-based", ce qui suggère une tendance à établir la confiance sur la base de relations personnelles.

3.4. Désaccord

L'Allemagne est connectée à "Disagree openly", ce qui pourrait indiquer une culture où il est acceptable d'exprimer ouvertement le désaccord.

Le Japon, quant à lui, est lié à "Avoids Confrontation", reflétant une tendance à éviter le conflit ouvert.

3.5. Planification

Les États-Unis et le Japon sont marqués comme étant "Scheduled", ce qui suggère une préférence pour une planification et une organisation rigoureuse.

Le Maroc est connecté à "Flexible-time", ce qui pourrait indiquer une approche plus flexible du temps et de la planification.

Bonnes pratiques de résolution de conflits interculturels

Les tensions sont inévitables, notamment lorsqu'il s'agit des conflits interculturels.

Cependant, leur résolution peut être une opportunité de croissance et de compréhension mutuelle.

Découvrons ensemble les bonnes pratiques de résolution de conflits :

1) Importance des contrats/documents projet comme base de l’entente

A la base d’un projet il y a des contrats de projet, des SOW (Scope Of Work) et autres documents décrivant le projet.

Cela permet d’avoir une base commune de discussion et de réflexion.

Conseil :

Evitez toutefois de faire directement appel aux départements juridiques et autres avocats, qui devraient être le dernier recours en cas d’impossibilité d’arriver à un accord.

Exemple :

Lors d’une signature de contrat entre un opérateur de téléphonie mobile Brésilien et un fournisseur Nord Américain de plateforme technologique, la partie de pénalités en cas de retard de livraison ou de qualité avait suscité de longues conversations. 

L’opérateur, le client, avait écrit des clauses très strictes associées à des pénalités importantes.

Le fournisseur américain ne pouvait pas accepter la chose, le risque de préjudice financier étant conséquent.

Mais l’opérateur brésilien expliquait, que ceci était écrit par principe, et que cela n’était jamais mis en exécution. Etant donné la relation entre client et fournisseur étant en général bonne.

Une incompréhension difficile à résoudre …

2) Adopter une approche factuelle

Un conflit peut très souvent être dû à des interprétations, des sujets mal expliqués, peu clairs.

Il se peut également que des suppositions aient été mal communiquées.

Il est important de revenir sur les faits, s’efforçant de séparer la partie émotionnelle et interprétative. « stick to the facts » comme disent les anglosaxons.

C’est un des grands principes du PMBOK®, considérant qu’un projet doit être géré de manière rationnelle et objective.

Même si dans certaines cultures, la « relation » est parfois plus importante que les « faits », que la réaction émotionnelle fait partie intégrante du problème, il est essentiel de passer par cette phase objective et rationnelle.

Interviewez les personnes impliquées dans le conflit pour collecter des informations, des faits.

Il y aura plusieurs versions, interprétations.

Faites alors une synthèse factuelle.

Guide du chef de projet efficace DB
Guide du chef de projet efficace Mobile

3) Comprendre et recueillir les « ressentis »

Une fois la vision factuelle confirmée, il faut maintenant passer à la partie humaine et comprendre le ressenti des personnes impliquées dans le conflit.

Pendant les « interviews », recueillez également les « versions » de chacun, le ressenti, de préférence en tête-à-tête, afin de mieux comprendre l’origine de la discorde.

Notez qu’en fonction des personnalités et des cultures, l’expression du ressenti sera plus ou moins facile.

Adapter le mode « d’interview » à chaque personne.

4) Définir et communiquer la solution

Lorsque les faits sont établis et que les perspectives diverses sont collectées, il est fréquent que le problème se trouve déjà résolu.

Ceci est dû au fait que le conflit provient souvent de malentendus, d'un manque de clarté ou de suppositions divergentes.

Chaque personne impliquée comprend mieux le sujet et la situation s’éclaire.

Néanmoins, Il est alors important, pendant une réunion de projet où la majorité des parties prenantes est présente, de communiquer à tous la situation et les solutions décidées.

Toutefois, certaines situations complexes peuvent confirmer des divergences d’opinions et arriver à une impasse.

Comment faire ?

Autant faire se peut, maintenir la discussion au niveau de l’équipe projet.

C’est au chef de projet de convoquer une réunion spécifique si nécessaire, avec les parties impliquées, même si cette réunion peut être difficile.

Il est courant que le simple fait de permettre à chacun de s'exprimer tout en offrant un feedback constructif dans un cadre respectueux, contribue à atténuer le problème, agissant comme un moyen de "crever l'abcès".

Prendre le temps d’avoir des conversations individuelles avec chaque personne impliquée pour mieux expliquer les différents points de vue.

Si le sujet ne se résout pas au niveau projet, il faudra faire appel aux différents supérieurs hiérarchiques, au sponsor du projet, voire aux départements des Ressources Humaines.

Attention

Le fait de faire appel au supérieur hiérarchique, dans certaines cultures, peut être pris comme une sorte de « trahison ».

C’est le cas des pays « latins » par exemple.

La prise de contact avec un supérieur hiérarchique doit toujours être informée en amont, et présenté comme une demande d’aide et non comme une remontrance.

Par contre, dans les cultures anglo-saxonnes le fait est en général beaucoup mieux accepté.

Un exemple classique est le problème de capacité d’un membre de l’équipe à répondre à la demande de multiples projets. 

L’intervention de son manager doit être présentée comme une demande d’aide pour confirmer les priorités, et non comme un commentaire sur la performance de la personne en question …

Et ce, même s’il y a un questionnement sur ladite performance.

Un point clé pour le chef de projet : les problèmes ne se résolvent pas tout seul.

La « politique de l’autruche » ne fonctionne pas.

Un problème non résolu immédiatement peut se comporter comme une bombe à retardement et exploser plus tard, entraînant des conséquences plus importantes.

En reprenant le Country Mapping Tool vu précédemment, on peut considérer qu’il y a deux approches concernant la prise de décision :

  • Consensuelle
  • et « top-down »

En fonction de la personnalité du chef de projet, de la culture de l’entreprise et de l’ambiance de l’équipe projet, il faudra trouver la bonne combinaison.

Et toujours avoir en tête le fait que la décision ne pourra pas satisfaire tout le monde ; la priorité reste la réalisation du projet !

Quelques points à retenir pour confirmer et communiquer la solution :

  • Avoir l’appui du Sponsor du projet. Dans certains cas critiques, on peut même lui demander de s’exprimer
  • Communiquer de manière claire et précise la solution apportée. Eventuellement expliquer plus en détails ensuite en conversations individuelles
  • Communiquer et rechercher le soutien des différents supérieurs hiérarchiques
  • Accepter qu’il ne soit pas toujours possible de satisfaire tout le monde.

Une fois le sujet traité, aller de l’avant et porter son attention sur la cohésion de l’équipe.

Conclusion

Un conflit est un sujet délicat à traiter. Il demande d’être rationnel, diplomate et ferme en même temps.

La dimension multiculturelle ajoute de la complexité.

  • De l’écoute, de la tolérance, de la patience et de la diplomatie lors de l’analyse des causes du conflits.
  • De l’objectivité, du pragmatisme lors de l’élaboration de la solution.
  • De la fermeté et de la pédagogie lors de la communication et de la mise en place de la solution.

Au fond, le chef de projet est le capitaine maître à bord.

Son rôle est d’appréhender correctement la complexité du contexte projet, sans perdre de vue que son objectif est de livrer de la meilleure manière possible.

Christophe Delalande

A propos de l'auteur

Passionné par la gestion de projet depuis sa certification PMP en 2005, Christophe a géré des projets, des programmes et des portefeuilles, réalisé des intégrations de systèmes informatiques en contexte international sur les 4 continents, et plus particulièrement en Amérique du Sud.
Il travaille quotidiennement en Anglais, Espagnol, Français et Portugais.
Également certifié PMI-RMP et PMI-ACP, il continue à se mettre à jour d’un point de vue technique et méthodologique.
Il est également ceinture noire de Karaté Shotokan. En savoir plus sur Christophe et ses publications

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