Transformation Agile : comprendre et surmonter la résistance au changement

Comme toutes les transformations, la transformation Agile ne fait pas exception. Et elle est fortement impactée par la résistance au changement des parties prenantes impliquées, pour ainsi dire toutes les couches organisationnelles.

La résistance au changement est un phénomène étudié depuis plusieurs décennies. Il a été analysé, conceptualisé et modélisé.

Plusieurs stratégies de gestion de la résistance au changement ont été élaborées se basant sur les neurosciences, les sciences comportementales et la sociologie des organisations. Et pourtant, la résistance au changement reste le premier facteur d’échec de toute transformation en entreprise.

De plus, la transformation Agile renferme des particularités qui rendent la résistance au changement plus accrue.

D’abord, la transition Agile est systématiquement accompagnée d’un autre type de transformation : digitale ou business. 

Ensuite, la transition Agile agit sur le mindset, la culture, la gouvernance, les processus métiers, les pratiques et les outils de travail.

Elle nécessite également l’implication de tous les niveaux managériaux, des collaborateurs de tous les métiers, voire même des prestataires et fournisseurs dans certains cas.

Malgré toute cette complexité, l’échec n’est pas une fatalité et il est tout à fait possible de réussir sa conduite de changement et ainsi maximiser les chances de réussir sa transformation Agile.

Pourquoi notre cerveau résiste-t-il naturellement au changement ?

Avant d’examiner les causes de la résistance de changement, il faut d’abord distinguer entre celles qui concernent l’individu, donc l’humain, et celles à l’échelle du collectif.

1) Les résistances au niveau individuel

La résistance au changement au niveau de l’individu serait dû au fonctionnement du cerveau humain. 

Le cerveau humain serait conçu pour résister au changement,  ce qui fait qu’à chaque tentative de changement, nous avancerions à l'encontre de notre biologie.

Tout changement génère de la peur et de la fatigue chez l’humain.

Le cerveau est conçu pour détecter les menaces dans notre environnement.

Lorsqu'une menace potentielle survient (odeur de fumée de feu, vue d'un agresseur, risque de perte d’emploi), le cerveau déclenche une des réponses suivantes : combat, fuite, gel ou inhibition (Fight-Flight-Freeze-Fawn).

Ces réactions poussent l’individu à faire des choix imprudents. Ce qui expliquerait pourquoi certains individus adoptent des comportements contre-productifs lors d’un chantier de transformation.

Le cerveau utilise également des cartes mentales pour se repérer dans les espaces physiques et les relations sociales. Le cerveau peut créer de nouvelles cartes, mais ce processus demande du temps et de l'énergie.

C’est pour cette raison que les individus sont inconfortables au début d’un changement.

2) Les blocages au niveau collectif

Les relations sociales sont aussi importantes pour un individu.

En cas de changement, les gens craignent de perdre ces liens et passent alors beaucoup de temps à redévelopper les réseaux professionnels et sociaux, à instaurer la confiance et à établir des rapports au fil des interactions. 

Évidemment, lorsqu'un changement est entamé, il risque d'y avoir un impact sur les boucles d'habitudes de l’individu.

Le changement exige donc de se concentrer jusqu'à ce que les nouvelles routines soient suffisamment assimilées. Ce qui prend du temps et beaucoup d'énergie et peut entraîner une lassitude face au changement.

De la résistance de l’individu à la résistance collective

Les dynamiques organisationnelles dans une structure amplifient la résistance individuelle des collaborateurs qui s’influencent mutuellement et renforcent leur réticence.

L’effet du groupe fait que les individus résistants seront plus confortables dans leur posture à cause du sentiment d’appartenance. 

Ce même sentiment pousse les individus à adopter des comportements communs et rend difficile pour un individu de se dresser contre la résistance du groupe.

Les organisations sont aussi régies par des codes, qu’ils soient explicites ou implicites.

Tout changement nécessiterait une mise à jour de ces codes qui peuvent être moins avantageux pour certains individus — notamment dans le contexte d’une transformation Agile, où les rôles, les modes de collaboration et les responsabilités sont souvent redéfinis.

La mémoire collective peut également renforcer la résistance de changements des individus qui ont partagé une expérience d’échec d’une transformation dans le passé.

La résistance collective peut venir aussi des caractéristiques de l'organisation.

Les processus rigides, le manque de vision stratégique, la réglementation en vigueur peuvent rendre l’adoption du changement plus difficile pour les individus et accentuer leur résistance.

La résistance de l’individu ou du collectif peut être exprimée de manière active à travers des feedbacks et critiques du changement ainsi que des actions de blocage, de prise de décisions ou de déploiement de plans d’action. 

La résistance peut également être passive à travers un désengagement silencieux, une démotivation ou un manque de performance. 

Dans les deux cas, il est impératif d’identifier la résistance individuelle et collective afin de pouvoir la désamorcer.

Les déclencheurs de résistance au changement dans une transformation Agile

En transformation Agile, plusieurs éléments peuvent déclencher la résistance individuelle et collective des parties prenantes impliquées dans le chantier de transformation :

  • Adopter des modèles avec peu de hiérarchie où la prise dé décision est partagée, certains collaborateurs peuvent se sentir perdus ou mal encadrés.
  • Réduire le pouvoir des managers peut leur enlever leur seul levier de management dans certains cas, ce qui peut les rendre moins efficaces
  • Encourager des échanges en direct entre les parties prenantes peut challenger le caractère de certains collaborateurs de nature réservée
  • Apporter plus de transparence dans les processus et pratiques de travail peuvent amener certains collaborateurs à se sentir exposé à l’évaluation, au jugement
  • Mettre en place des cycles de feedback continue peut stresser les collaborateurs n’ayant pas les compétences pour formuler et recevoir les feedbacks

Les réponses face aux blocages humains 

La conduite de changement est une composante essentielle dans la transformation Agile.

Il ne s’agit pas juste d’adopter le framework Agile, mais de mettre en place les mécanismes nécessaires pour accompagner les parties prenantes à accepter le changement et pérenniser les nouveaux concepts.

Au-delà de la formation et la communication qui sont les réponses aux changements les plus répandus, il y a des points à intégrer dans les stratégies de conduite de changement :

1) Mettre l’accent sur les changements positifs

Très souvent, les collaborateurs se focalisent d’abord sur les aspects négatifs du changement et ont du mal à percevoir les apports, ce qui accentue leur résistance.

Le changement est perçu principalement comme une contrainte.

2) Gérer le "deuil du changement”

Tout changement, même s’il est perçu comme positif, est accompagné par un deuil des anciennes habitudes des collaborateurs.

Le deuil génère des émotions inconfortables qui peuvent impacter la posture des parties prenantes qui seront moins volontaires dans l’adoption du changement.

3) Gérer la transition des rôles

Le changement de rôles et de responsabilités des collaborateurs pourrait les mettre dans une situation de “faiblesse”.

Leurs compétences et leurs connaissances sont challengées, ce qui peut impacter leur confiance et leur estime de soi.

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6 piliers pour une stratégie de conduite du changement efficace en transformation Agile

Une stratégie de gestion de changement efficace est d’abord holistique. Elle doit couvrir tous les aspects relatifs à la résistance au changement individuelle et collective.

Afin de bien structurer une stratégie de conduite de changement, il est judicieux de s’inspirer des modèles éprouvés de gestion de changement tels que :

  • Bridges Transition Model : Aide à comprendre comment les individus traversent une transition. Il définit 3 phases : “Fin”, “ Zone Neutre” et “Nouveau Départ”.  Des actions spécifiques doivent être prévues pour chaque phase.
  • Nicholson’s Transition Cycle Model : Analyse les réactions psychologiques des collaborateurs face au changement et permet d’anticiper les moments de frustration et réajuster l’approche.
  • Transition C-Curve Model : Définit trois piliers pour appréhender le changement : Ajustement des rôles, évolution des compétences et gestion des émotions.

En plus d’adopter un modèle de changement, il est nécessaire que la stratégie de conduite de changement intègre les composantes suivantes :

1) Mettre en place un cadre organisationnel favorisant le changement 

La majorité des transformations Agile échouent parce que le cadre organisationnel est en grand décalage avec le mindset, les processus et les pratiques Agile.

Afin d’y remédier, il est nécessaire d’impliquer toutes les fonctions de l’organisation :

  • Les parties prenantes doivent avoir une vision claire et partagée afin de rendre la finalité du changement compréhensible pour toutes les parties prenantes.
  • Les métiers des ressources humaines sont critiques à la transformation Agile puisqu’ils définissent les rôles des collaborateurs et impactent leur évolution de carrières. Le recrutement des profils adéquats en termes de compétence et de mindset est également critique pour réussir une transformation Agile.
  • Les métiers administratifs tels que les achats, la logistique et la conformité doivent également être prises en compte afin d’alléger leurs processus et leur permettre de soutenir l’agilité des équipes tout en respectant les contraintes réglementaires.
  • Le modèle de gouvernance doit également être revu afin d’apporter de la flexibilité dans les arbitrages et les prises de décision et être adapté aux cycles courts des équipes Agile.

Mise en pratique :

  • Constituer une équipe Agile constituée de coach agile et de représentants des métiers pour revoir les processus internes. 
  • Adopter le pilotage par les OKR qui permet de piloter le business de manière agile et d’agiliser indirectement les initiatives des différentes fonctions de l’organisation. 

2) Mettre en avant le changement positif  

Il est nécessaire d’identifier les bénéfices d’adoption du modèle Agile pour l’organisation et les individus et ne pas se restreindre à des slogans utopiques : 

  • Montrer des avantages concrets de l’agilité en termes d’amélioration des conditions de travail et le développement des compétences des individus
  • Adapter le discours selon les enjeux des parties prenantes, les arguments varient selon le caractère des individus, le nombre d'expériences, la nature des fonctions, le niveau hiérarchique et les motivations de chacun.
  • Prioriser les "quick wins" afin de démontrer au plus tôt des résultats de l’adoption de l’agilité.

Mise en pratique :

  • Adopter le storytelling en partageant des témoignages d’équipes ayant réussi des transformations.
  • Expérimenter en démarrant par des projets pilotes pour prouver l’efficacité de l’Agilité.

3) Accompagner le “deuil du changement"

Ce concept est très peu connu en entreprise, il est nécessaire d’acculturer les parties prenantes afin qu’elles prennent conscience du phénomène et apprennent à le gérer en :

  • Expliquant que le changement à mettre en place sera vécu plus comme une transition progressive et non comme une rupture brutale.
  • Organisant des espaces d’échange pour permettre aux collaborateurs d’exprimer leurs inquiétudes.
  • Présentant le modèle de Kübler-Ross qui définit 5 étapes du deuil pour identifier les étapes émotionnelles de chaque collaborateur.

Mise en pratique :

  • Organiser des rétrospectives et discussions ouvertes pour faciliter l’expression des résistances.
  • Prévoir du coaching et de l’accompagnement individuel afin d’aider les collaborateurs qui ont du mal à naviguer dans le changement.

4) Assurer la transition des rôles de manière progressive

Au-delà des rôles officiels des collaborateurs qui sont liés à leur fonction, certains individus adoptent des postures de “leader” ou  de “sachant” et tiennent à ces postures.

Les changements des rôles et responsabilités impactent ses postures et perturbent les collaborateurs qui les adoptent.

Il est donc important de gérer la transition aussi bien des rôles officiels que les “non officiels” des collaborateurs en :

  • Clarifiant les attentes du nouveau modèle organisationnel Agile.
  • Incitant les managers à adopter des postures de leader et de facilitateur afin de continuer à avoir de l’influence sur les équipes
  • Prévoyant un accompagnement personnalisé pour chaque catégorie de profil

Mise en pratique :

  • Organiser des formations dédiées aux managers sur le leadership Agile et Lean
  • Sélectionner et nommer des “Change agents” adoptant le mindset Agile  pour montrer l’exemple aux équipes sur le nouveau mode de fonctionnement

5) Déployer une communication adaptée et continue

Même si la communication est une pratique courante dans la gestion de changement, elle est rarement efficace et souvent mal perçue par les collaborateurs si elle n’est pas claire, non ambiguë et authentique. 

Il est nécessaire de construire une communication ciblée et engagée en :

  • Adaptant les messages de communications aux différentes parties prenantes.
  • Utilisant des supports et formats variés (flash, news, newsletters, vidéos, témoignages).
  • Encourageant la transparence en partageant sans filtre l’évolution de la transformation.

Mise en pratique :

  • Utiliser des canaux agiles de communication tels que les Stand-up meetings, les plateformes collaboratives et le management visuel
  • Planifier des rétrospectives sur la communication pour ajuster la communication selon les retours des parties prenantes cibles.
guide gestion projet agile
le guide gestion agile

6) Assurer un suivi et une adaptation continue du changement

Par définition, la conduite d’un changement ne suit jamais un plan figé, il est impératif d’être agile dans sa transformation Agile, autrement, elle sera vouée à un échec certain.

Afin d’éviter cela, il est nécessaire de :

  • Récolter régulièrement et de manière profonde le feedback de toutes les parties prenantes 
  • Prendre en compte les feedbacks pour améliorer les points faibles.
  • Définir quelques indicateurs de suivi efficaces pour mesurer l’évolution de la transformation et les communiquer aux collaborateurs de manière transparente.

Mise en pratique :

  • Planifier des rétrospectives sur le changement de la même manière que pour les projets Agiles.
  • Définir des KPIs efficaces pour mesurer l'engagement des équipes, l’adoption des nouvelles pratiques, la satisfaction des collaborateurs et des clients.

Conclusion

La complexité de la résistance au changement est proportionnelle à la complexité de l’humain.

Une transformation Agile, même si elle apporte son lot de bénéfices pour les organisations et les individus, reste une démarche exigeante à bien des égards.

À l’image de l’agilité elle-même, la conduite du changement doit mettre l’humain au centre, avant les processus, les pratiques et les outils.

Une stratégie de conduite du changement efficace doit insuffler une dynamique collective, seule capable de porter durablement ce type de transformation.

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Boutaina Boudhaim

A propos de l'auteur

Ingénieur IT de formation. Boutaina opère, depuis 2009, dans le management, le coaching et la formation d’équipes IT et métiers. Spécialiste de l’agilité et de la gestion de changement, elle a accompagné plusieurs grands comptes dans le secteur de la banque et de l’assurance pour la mise en place de l’agilité et le déploiement de produits digitaux. Elle est certifiée SAFE, Agile PM, PSM, DevOps, Lean IT, ITIL et PMP.

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