La gestion des réclamations projet est, selon le PMBOK6, le processus de traitement, d’évaluation et de communication des réclamations et des revendications contractuelles.
À première vue, l’exercice semble être anodin, mais en réalité, il peut avoir des impacts significatifs sur la vie des organisations.
Dans cet article, je partage des bonnes pratiques issues d'une expérience réelle où une entreprise a fait faillite en raison d'une gestion inappropriée des réclamations.
Ces pratiques visent à améliorer la préparation et la gestion des réclamations dès le début d'un projet.
Préparation
Revenons encore aux définitions de base.
Le PMBOK6 définit une réclamation comme une demande ou une affirmation de droit par un vendeur à l’encontre d’un acheteur, ou inversement.
Elle vise une prise en compte, un dédommagement ou un règlement, conformément aux termes du contrat.
Cela peut se produire, par exemple, dans le cadre d’un changement contesté.
Ainsi, d’après cette définition, vous pouvez constater que le mot « réclamation » n’est peut-être pas souhaitable dans un projet.
Il porte en lui une certaine tension, ce qui pourrait affecter la relation entre le vendeur et l’acheteur.
1) Évitez le claim tout en vous y préparant
Commençons d’abord par une règle de base à garder en esprit :
Il faudrait éviter au maximum de faire des réclamations.
Cela semble paradoxal avec l’objectif même de cet article.
Mais, l’astuce est, en fait, de s’y préparer comme il faut, sans l’envisager comme un exercice à entreprendre inévitablement.
Les réclamations apportent de la tension, des processus juridiques, beaucoup de temps de traitement, des réunions interminables, beaucoup de recherches dans les registres et communications du projet, etc.
Alors, les éviter serait absolument bénéfique pour tout le monde, acheteur et vendeur.
2) Préparez tout dès le début du projet
La deuxième règle de base :
Les réclamations se préparent dès le début d’un projet, même sans avoir l’intention d’en faire à la fin.
Et ce, pour deux raisons principales :
D’abord, parce que c’est rare qu’un projet se fasse sans changement.
Et puis, c’est difficile qu’un contrat puisse prévoir et inclure tous les changements possibles.
Ainsi, vous aurez certainement à traiter des changements en dérogeant à vos clauses contractuelles.
L’objectif final derrière cette deuxième règle est de bien se préparer pour pouvoir éviter de faire des réclamations à la fin.
Moins on se prépare, plus on augmente les chances de devoir faire un claim.
3) Identifiez qui est votre client : utilisateur final / maître d’œuvre
Comme le montre la définition, une réclamation se fait entre deux parties.
De ce fait, il est essentiel de comprendre que la réaction et le comportement de la deuxième partie face à votre réclamation changera selon son statut.
La réaction d’un client final (maître d’ouvrage) ne sera pas la même que celle d’un maître d’œuvre (appelé aussi, dans certains cas, « contractant général » ou « entrepreneur général »).
Un maître d’œuvre aurait l’objectif de maximiser ses bénéfices en protégeant les intérêts de son client (le maître d’ouvrage).
Et cela passe obligatoirement par la minimisation des réclamations et des dédommagements qui en résultent.
4) Analysez votre client (REX, Taille du service juridique)
Connaître la deuxième partie est bien, mais savoir l’analyser est mieux.
Pour ce faire, vous pouvez commencer par regarder le « poids » de son service juridique.
Dans certains cas, la taille du service juridique se trouve être plus importante que celle des services métiers (ingénierie, construction, etc).
Cela pourrait vous indiquer l’importance qu’accorde la deuxième partie aux questions contractuelles.
Aussi, vous pouvez chercher du REX sur des expériences passées de vos collègues ou concurrents avec la deuxième partie.
Cela vous indiquera son attitude face à la gestion des réclamations.
Maîtrise
Après avoir commencé le projet, chaque jour est une opportunité pour vous préparer aux claims.
Étant donné, qu’à travers votre réclamation, vous allez demander un « dédommagement », il faudrait alors prouver que ce que vous avez fait comme activité sortait du cadre du périmètre.
Pour cela, il vous faut un processus de maîtrise assez rodé et efficace.
1) Développez l’esprit de maîtrise chez vos équipes
Avant de penser à investir dans les outils et les méthodes, pensez à investir du temps dans le développement de l’état d’esprit de vos équipes.
Inculquez-leur l’esprit de la maîtrise !
Cela veut dire, à chaque activité, à chaque décision et à chaque point d’avancement, il leur faut s’arrêter un moment pour s’assurer que leurs efforts restent dans le cadre du périmètre.
Il faudrait que l’action de constater, documenter et communiquer l’écart devienne une habitude durant le projet et non seulement qu’à sa fin.
2) Blindez vos processus de maîtrise : investissez dans les ressources…
Bien sûr, pour faciliter la maîtrise de vos activités et engager encore plus vos équipes à adopter cet état d’esprit, il faudrait investir dans les connaissances et les outils.
La maîtrise, c’est aussi des techniques à déployer et des outils numériques à utiliser pour avoir un meilleur suivi du projet.
Plus vos équipes sont munies des compétences et des outils nécessaires, plus elles vont aller dans le détail de la maîtrise afin de ne rien laisser au hasard.
Tous les aspects du projet seront surveillés, et vos livrables auront plus de chance de coller fidèlement à la planification.
3) Assurez la continuité du suivi
Une meilleure maîtrise signifie moins d’écarts et moins d’écarts mène à moins de claims.
Mais, le plus important, c'est de garder le rythme !
La continuité est la clé de la réussite.
Au moment où vous aurez à monter une réclamation, si vos courbes en S ou vos informations d’avancement sont trouées, alors votre position sera affaiblie.
Les réclamations tirent leur solidité de la consistance des informations qui les appuient.
Une rupture du suivi amène le doute et le doute baisse la qualité de votre claim.
La maîtrise passe aussi par une bonne gestion des indicateurs et outils, dont l’optimisation reste une clé de succès souvent sous-estimée.
Gestion des changements
Après avoir solidifié vos processus de maîtrise, il ne faut pas oublier que la source des réclamations vient principalement des demandes de changements.
Une meilleure gestion des demandes de changements signifie globalement moins de réclamations.
Mais cela implique aussi des réclamations bien gérées.
1) Appliquez un processus intégré de gestion des changements
Le processus de gestion des changements est plus que vital pour votre projet.
Ce processus est littéralement le gardien du temple de vos références de base.
Afin d’éviter au maximum de faire des réclamations et/ou d’en bien faire si nécessaire, le processus de gestion des changements vous facilitera :
- La documentation
- La traçabilité
- L’estimation
- La validation
- Le suivi des déviations enregistrées par rapport aux références de base
2) Hors périmètre : traitez-le durant le projet
Si, par malchance, vous vous trouvez dans une situation où le processus de gestion des changements n’a pas été déroulé, il faudrait absolument traiter l’écart durant le projet et pas après.
Laisser traîner la comptabilisation des travaux supplémentaires jusqu’à la fin du projet ne fait qu’augmenter le risque de lancer une réclamation.
À la fin du projet, le client a moins de budget et moins d’envie de traiter des sujets relativement anciens face à un déploiement imminent de la totalité du périmètre.
3) Évitez les engagements oraux
Encore une règle vitale pour les changements, évitez les engagements faits autrement qu’à travers un canal formel et officiel.
Vous connaissez certainement le proverbe qui dit :
« Les paroles s'envolent, les écrits restent ».
C’est tout simplement un appel à la prudence.
Procéder, dans l’urgence, et sur demande orale, à certains changements, c'est bien pour faire plaisir au client.
Cependant, c’est risqué pour votre projet.
Les demandes orales sont souvent formulées dans l’urgence.
Ce sont des solutions à des problèmes temporaires.
Elles peuvent s’avérer ne pas être les plus optimales après coup.
Dans ce cas, il faut régulariser le plus vite possible afin de minimiser les dégâts.
Contrat
Étant donné que nous, chefs de projet, sommes généralement des techniciens, nous maîtrisons plutôt le métier principal du projet.
Le côté contractuel n’est pas l’un de nos points forts.
De ce fait, souvent, nous nous trouvons confrontés à lancer des claims à cause d’une mal compréhension ou de la négligence involontaire d’une clause contractuelle.
Que faire alors ?
1) Formez-vous !
Réponse très simple :
Formez-vous aux questions contractuelles et juridiques !
Il ne s’agit pas de devenir un spécialiste juridique, mais tout simplement d’acquérir les bases.
Vous pouvez commencer par les erreurs contractuelles les plus fréquentes dans votre organisation.
Demandez ensuite à votre service juridique de vous y former.
Aussi, pour stimuler la créativité de votre formateur, imaginez des situations problématiques, même improbables.
Demandez ensuite quelle est la solution la plus optimale.
2) Engagez votre manager-contrat dès le début
Vous former à la gestion contractuelle est nécessaire, mais absolument insuffisant.
Faîtes appel aux spécialistes, engagez votre manager-contrat dans le projet dès le début.
Il saura identifier les lacunes et les potentiels « pièges » contractuels.
Parfois, les résultats des réclamations se jouent à la place d’une virgule ou d’un point ou bien du format d’un mot dans le texte.
3) Analysez le contrat avant de le signer
L’une des erreurs que font les organisations, c'est le fait de donner au chef de projet un contrat à relire avant de le signer à la hâte, car le client fait pression.
Ce n’est rien d’autre que préparer un désastre contractuel pour ce projet.
L’analyse du contrat doit se faire dans les règles de l’art et par les spécialistes.
Le chef de projet devrait être le maillon entre l’aspect contractuel et l’aspect technique, mais plus.
4) Actez les clauses de gestion de changement
Même si l’on sait que jamais un contrat ne pourrait inclure tous les changements possibles au périmètre d’un projet, le minimum requis est bien d’avoir des clauses contractuelles traitant la gestion du changement.
Ces clauses doivent inclure :
- Le processus à suivre
- Les validations nécessaires
- Les délais alloués
- Les seuils de budget et de délai
- Les rôles et responsabilités
- La méthode de traçabilité
- Le suivi, etc.
5) Respectez les livrables documentaires du contrat
S’il y a une erreur à éviter à tout prix, c'est bien le fait de ne pas respecter la livraison des documents de suivi exigé par le client.
Souvent, les clients exigent dans le contrat la remise de plusieurs rapports de suivi.
Ces rapports servent à prouver l’avancement et à faciliter un meilleur pilotage.
Si votre client n’insiste pas dessus durant le projet, ce n’est pas bon signe, vous devriez vous méfier.
Ces livrables, en plus d’être une exigence contractuelle, peuvent soit vous aider dans vos claims soit les ruiner complètement.
Même s’il est fastidieux et même coûteux de les élaborer, il est impérativement nécessaire de les respecter.
6) Relisez le contrat aux portes de phases
Un contrat est un document vivant, qui doit être lu et relu plusieurs fois durant le cycle de vie du projet.
Les portes de phases sont des moments idéaux pour relire le contrat.
En effet, de nouveaux risques sont identifiés, de nouvelles contraintes apparaissent et même de nouvelles exigences peuvent surgir.
Si vous n’avez pas le temps de le faire, déléguez cette tâche à votre équipe.
Demandez alors à chacun de vous donner sa propre compréhension du contrat et les risques qu’il/elle a identifiés.
Cela peut également faire l’objet d’un atelier dédié afin de casser la routine du projet.
7) Consultez des experts externes en gestion contractuelle
Dans certains projets critiques, solliciter l’avis d’un expert externe peut offrir une nouvelle perspective.
Cela permet surtout d'adopter une approche différente pour la gestion des réclamations.
Un avis externe amène une expérience variée et une lecture sous un angle différent.
Consulter un manager-contrat externe fait bénéficier le projet de nouvelles pratiques exercées sur d’autres secteurs et permet de bénéficier des analogies intersectorielles.
Le seul problème, c’est que votre client pourrait refuser l'intervention d’une partie externe dans la gestion du contrat.
Il pourrait également interpréter cette approche comme une attitude agressive de votre part.
Checklist
Voici une checklist qui résume l'ensemble des bonnes pratiques à suivre pour assurer une gestion efficace des réclamations :
Conclusion
Imaginer un monde où tous les projets se font sans claim est pratiquement impossible.
La preuve, c'est que des entreprises de conseil ont fait de la gestion des claims leur activité principale.
Afin d’éviter de perdre du temps et de l’argent et de risquer la survie de votre organisation à cause d’une réclamation, pensez à ce risque avant même de signer vos contrats.
Le meilleur claim est certainement le claim qu’on n’engage pas.