Savoir dire non en gestion de projet pour un chef de projet

Le chef de projet par la force de sa parole engage sa responsabilité, celle de son équipe et les ressources de l’entreprise.

Cette responsabilité rend la capacité à dire « non » essentiel pour tout chef de projet, c’est un soft skill clé pour maîtriser vos projets. 

L’objectif de cet article est de mettre en exergue les difficultés que nous pouvons avoir à dire « non », leurs impacts sur nous, nos équipes et l’entreprise, ainsi que la manière de dire « non » de façon responsable, en préservant nos intérêts et la relation avec notre interlocuteur.

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Quelles sont les responsabilités du chef de projet ?

Le chef de projet évolue au croisement de multiples parties prenantes, internes comme externes. 

Chaque jour, il doit composer avec des attentes parfois contradictoires : exigences des clients, objectifs de la direction, contraintes budgétaires et limites humaines de son équipe.

En tant que facilitateur, vous assumez pleinement votre rôle, posiez des limites claires et preniez des décisions, même si cela peut entraîner des déceptions à court terme.

Voici quelques responsabilités du chef vis-à-vis de certaines parties prenantes : 

Responsabilité vis-à-vis de son équipe

  • Fournir et maintenir une vision claire des objectifs.
  • Créer un environnement collaboratif et favorable qualité / performance
  • Défendre l’équipe face aux demandes et exigences irréalistes.

Responsabilité vis-à-vis des clients

  • Tenir les engagements en termes de qualité, coût et délai.
  • Assurer une communication transparente (avancement, risques…).
  • Maintenir une relation de confiance dans la durée

Responsabilité vis-à-vis des supérieurs / direction

  • Aligner le projet avec la stratégie et les directives de l’entreprise de l’entreprise.
  • Remonter les alertes et besoins d’arbitrages.

Une compréhension claire de vos responsabilités en tant que chef de projet est essentielle pour savoir dire « non »  de manière objective.

Il est important également de comprendre les biais qui peuvent nous empêcher de formuler un refus quand il le faut.

Pourquoi avons-nous du mal à dire non ?

Voici les principales raisons qui font qu'il est difficile de dire non : 

1) Mécanismes psychologiques qui nous poussent à dire « oui » facilement

Il existe principalement trois mécanismes psychologiques qui peuvent vous piéger dans le réflexe d’un « oui ». 

1.1) Le besoin de plaire 

Cela se traduit par le fait de voir chaque demande comme une opportunité de montrer votre valeur.

Vous craignez qu'un refus ternisse votre image ou dévalue vos compétences vis-à-vis de vos interlocuteurs. 

1.2) La peur du conflit 

Dans certaines conditions, vous pouvez être amené à considérer le « non » comme un risque pouvant déclencher un conflit, dégrader vos relations avec vos interlocuteurs, voire donner lieu à des représailles.

Cette peur vous pousse à dire « oui » pour maintenir une tranquillité temporaire et éviter les conflits dans l’immédiat.

Cela vous pousse à éviter toute confrontation, même constructive. 

Le guide de la gestion des conflits
Démarche de gestion des conflits

1.3) Le syndrome de l'imposteur 

En fonction de l’interlocuteur, surtout quand on est junior, votre position ou niveau de compétence peut vous faire douter de votre légitimité à refuser.

2) Biais relatifs aux compétences de chefs de projets qui nous poussent à dire « oui » facilement

En tant que chefs de projets, les limites liées aux compétences peuvent aussi nous arracher un oui trop facilement.

2.1) Le manque de maîtrise de ses responsabilités

Certains chefs de projet, notamment les plus juniors, ont du mal à cerner clairement leurs responsabilités.

Ne pas savoir où s’arrêtent ses prérogatives et où commencent celles du client, de la direction ou d’autres acteurs peut générer une confusion.

Dans ce flou, un « oui » peut sortir par pure ignorance de ce que devraient être les limites et responsabilité de son rôle. 

2.2) L'absence de recul 

Sous la pression d’un client, de sa direction ou d’une situation urgente, vous pouvez être amené en tant que chef de projet à céder trop facilement un « oui ».

Par manque de recul, vous acceptez une demande sans prendre le temps d’évaluer les impacts.

Ce biais est alimenté par des réflexes psychologiques que nous avons vus plus haut : la peur de décevoir et la volonté de paraître réactif (besoin de plaire).

Une réponse précipitée entraîne souvent des engagements irréalistes et un effet domino sur le planning et les ressources.

Quelles conséquences pour un « oui » trop facile ?

Un « oui » impulsif entraîne souvent des dérives lourdes : retards, dépassements budgétaires, perte de crédibilité et surcharge de l’équipe.

Ces effets s’installent rapidement et fragilisent durablement votre rôle de chef de projet.

Les conséquences touchent autant l'aspect humain qu'opérationnel de vos projets.

1) Impact pour le chef de projet et son équipe

Les conséquences sont directes et importantes, cela vous épuise, fragilise votre leadership et impacte la cohésion de votre équipe

  • Perte de crédibilité du chef de projet : lorsque vous acceptez un engagement irréaliste qui n’est pas tenu par la suite, vous êtes perçu comme complaisant, voire fragile. Votre parole risque de peser moins lors des arbitrages ultérieurs.
  • Surcharge de travail : chaque « oui » non évalué se traduit souvent par du travail en plus non prévu, des plannings compressés et donc une pression accrue sur vous et votre équipe. Votre équipe a alors le sentiment d’être constamment « en flux tendu » plutôt que de travailler sereinement.
  • Impact sur la qualité : Dans l'urgence permanente, l'équipe n'a plus le temps de bien faire les choses. La qualité du travail se dégrade, les bonnes pratiques ne sont plus totalement appliquées. Les livrables sont remis en cause par vos clients et ce qui génère à nouveau un travail supplémentaire.
  • Dégradation du climat de travail : tensions, irritabilité et conflits internes apparaissent lorsque votre équipe se sent poussée à bout par des engagements pris sans concertation ni protection de votre part en tant que chef de projet. Ils finissent par perdre confiance en votre capacité à les protéger et développent une résistance passive aux nouvelles demandes

Selon une enquête de grande ampleur menée par LinkedIn à l’été 2024 auprès de plus de 16 000 professionnels, la moitié des chefs de projet se déclarent en situation de burn-out ou proches de l’être.

Cette étude, qui visait à mesurer la perception du travail et le niveau de stress, met en évidence une exposition particulièrement forte de cette profession, bien au-delà de la moyenne observée dans d’autres secteurs.

2) Impacts opérationnels sur le projet

Au-delà de l’humain, votre complaisance a également un coût direct sur la performance des projets et la crédibilité de l’entreprise.

  • Retards et dépassements budgétaires : un « oui » non contrôlé à une nouvelle demande génère souvent du « scope creep », c’est-à-dire une extension non contrôlée du périmètre. D'après le rapport "Pulse of the Profession" 2018 du PMI, 52% des projets subissent une extension de périmètre, ce qui impacte fortement leur réussite.
  • Dégradation de vos relations avec vos clients : un client préfère un refus clair et motivé plutôt qu’une promesse non tenue. Les retards répétés, les dépassements budgétaires et la baisse de qualité ternissent l'image de l'équipe projet et de l'entreprise. Le client perd confiance en la capacité de livraison et peut remettre en question la poursuite de la collaboration.

3) Signaux d’alerte d’un « oui » trop facile

Les conséquences d’un oui trop facile se manifestent en premier sous forme de signaux auxquels vous devez être attentif.

Ces signaux peuvent être parfois mesurables ou plus subtils, liés au comportement.

Quelques signaux mesurables :

  • Retards répétés dans les jalons du projet, exemple, vous commencez à avoir plus de 20 % des livrables planifiés décalés au cours des deux derniers sprints.
  • Augmentation des heures supplémentaires sur plusieurs semaines.
  • Dépassement du budget prévisionnel de plus de 15% sur plusieurs semaines avec accumulation de demandes hors périmètre non chiffrées.
  • Hausse du nombre d’incidents de qualité dans les livrables, supérieurs à 15% par rapport à la moyenne.

Quelques signaux comportementaux à reconnaître :

  • Vous notez un niveau de démotivation et de désengagement croissant de l’équipe.
  • Vous voyez une baisse de la proactivité et de la prise d’initiative personnelle
  • Vous remarquez une multiplication de conflits interpersonnels
  • Vous constatez de manière récurrente des tensions lors des réunions (interruptions, ton agressif, silences prolongés)

Être capable de repérer ces signaux à temps est crucial, car ils constituent le point de bascule qui peut compromettre durablement la crédibilité du chef de projet et la réussite du projet lui-même.

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Pourquoi savoir dire « non »  est une force en gestion de projet ?

Refuser une demande peut sembler risqué sur le moment, mais cette capacité constitue l’un des leviers les plus puissants pour sécuriser un projet.

Voici les bénéfices tangibles que cette capacité apporte à votre rôle, à vos équipes et à vos relations avec les clients :

1) Les avantages pour le chef de projet que vous êtes 

  • Prévention de l'épuisement ou burnout : Des limites claires préservent votre énergie pour les vraies priorités. Vous aurez plus de sérénité avec des engagements maîtrisés.
  • Construction de votre légitimité : paradoxalement à vos peurs, vos positions de refus fermes et argumentées établissent votre autorité et renforcent votre crédibilité plus que des « oui » non maîtrisés.

2) Les avantages pour vos équipes et les ressources de votre entreprise  

  • Préservation de la charge de travail : en protégeant votre équipe des engagements irréalistes et imprévus, vous évitez la surcharge des collaborateurs et limitez les risques de stress, voire d’épuisement.
  • Maintien de la motivation et de la qualité : favorise un climat de travail propice à la productivité.
  • Respect du budget et du planning : évite les dérives financières et de planning, permettant ainsi d’optimiser les ressources de l’entreprise.

3) Les impacts sur vos relations avec votre client  

Contrairement aux idées reçues, le « non » peut être perçu de manière positive par votre client. Lorsqu’il est exprimé avec transparence et professionnalisme, il renforce la crédibilité, donnant l’image d’un chef de projet qui maîtrise ses sujets et qui se positionne comme un partenaire fiable. 

Il est important de comprendre qu’il est mieux de dire « non » à une demande irréaliste que de s’engager sur des promesses intenables.

Maintenant que nous avons établi toute l’importance de savoir dire « non », il est plus qu’important de savoir bien le formuler.

Quelles sont les techniques pratiques pour maîtriser comment dire « non »  de manière efficace ?

Voici des méthodes pour structurer vos refus et les exprimer de manière constructive, sans freiner la dynamique de vos projets :

1) Conduisez vos projets dans un contexte structuré pour faciliter vos refus  

  • Maîtrisez votre projet : Vous devez avoir une vision claire de votre projet, vos limites personnelles et celles de vos équipes, les contraintes et attentes de chaque partie prenante de votre projet. Cela vous permettra de vous appuyer sur des faits concrets pour vos refus.
  • Définissez et partagez les limites du projet : Formulez clairement les bornes à ne pas dépasser : scope, budget maximum, délais « non » négociables, périmètre... Cette base contractuelle facilite vos futurs refus.
  • Préparez vos réunions en amont : Anticipez les objections probables. Préparez des alternatives pour chaque refus prévisible. 
  • Ne vous engagez que sur des bases claires : Évitez de prendre des engagements si vous n’avez pas tous les éléments nécessaires pour évaluer les impacts. 
Savoir dire Non Techniques pratiques

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2) Basez-vous sur des outils de gouvernance de projet 

Il existe plusieurs outils de gouvernance de projet qui permettent de sécuriser et d’objectiver vos refus.

Vous pouvez vous appuyer dessus pour éviter que vos décisions soient perçues comme arbitraires.

  • Le RACI : en clarifiant les rôles (Responsable, Approbateur, Consulté, Informé), vous délimitez vos responsabilités et pouvez démontrer facilement que certaines décisions ne relèvent pas directement de vous, mais d’une responsabilité commune ou d’un autre acteur. 
  • Le registre des demandes de changement : recommandé par le PMI, il permet de tracer systématiquement toute demande hors périmètre. Chaque requête est analysée, évaluée et documentée, ce qui permet de prendre du recul face aux demandes projet et de légitimer votre refus en vous basant sur une analyse factuelle.
  • Le comité d’arbitrage : Vous devez institutionnaliser un espace de décision collective qui permet de renvoyer certaines demandes à un niveau supérieur. Vous ne serez plus seul à défendre un « non », vous transférez ainsi la responsabilité à un comité qui la partagera avec vous. 
  • Les indicateurs projet (planning, budget, capacité de charge) : Appuyez-vous sur des métriques objectives et mesurables. Dire « non » parce que l’équipe est déjà à 110 % de charge est plus recevable qu’un simple « ce n’est pas possible ».

3) Utilisez les bonnes techniques de communication 

Voici quelques techniques que vous pouvez mettre en pratique pour vos stratégies de communication : 

3.1) La technique du sandwich 

Apparue dans les années 80, elle est largement utilisée dans les stratégies de communication. Elle consiste à enrober une remarque difficile, comme un refus, entre deux appréciations positives.

Exemple : 

  • « Je comprends l'importance de cette fonctionnalité... »
  • « Cependant, l'intégrer maintenant compromettrait notre livraison... »
  • « Je propose de la planifier en phase 2 avec les ressources adaptées. »

Veillez à garder le message lisible et factuel pour ne pas juste repousser le problème. 

L'argumentation factuelle s'appuie sur des données concrètes, exemple  « cela nécessite 15 jours supplémentaires et 8 k€ de budget  ».

3.2) La méthode OSBD (Observation – Sentiment – Besoin – Demande) 

C’est un processus en 4 étapes issu de la Communication Non Violente (CNV) de Marshall Rosenberg :

Observation (O) : décrire la situation de façon factuelle, sans jugement ni interprétation.

Exemple : « Lors de la dernière réunion, une nouvelle fonctionnalité a été demandée pour être intégrée dans la version en cours. »

Sentiment (S) : exprimer son ressenti face à cette situation dans l’objectif d’humaniser la communication.

Exemple : « Je suis préoccupé par l’impact que cela peut avoir sur notre planning et la charge de l’équipe. »

Besoin (B) : expliciter le besoin fondamental qui motive la position.

Exemple : « J’ai besoin de préserver la cohérence du planning afin de garantir la qualité des livrables et le respect du budget. »

Demande (D) : formuler une demande claire, réaliste et orientée solution.

Exemple : « Seriez-vous d’accord pour que nous intégrions cette fonctionnalité dans la prochaine version, après avoir évalué ensemble son impact ? »

Conclusion 

Bien exprimé, savoir dire « non »  protège le chef de projet, son équipe et les objectifs du projet, tout en renforçant la confiance avec les parties prenantes.

Toutefois, cette faculté de savoir dire « non » ne doit pas devenir un réflexe de fermeture.

Un refus systématiquement peut isoler, freiner l’innovation et nuire à la relation avec les clients.

Le véritable enjeu est donc de trouver l’équilibre : savoir dire « non » quand cela est nécessaire, mais aussi savoir dire « oui » lorsque toutes les conditions sont réunies.

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Daouda Faye Badji

A propos de l'auteur

Daouda Faye Badji est un chef de projet senior (certifié PMP) et directeur technique expérimenté dans la conduite de projets IT complexes.

Il a conduit, en mode agile comme en cycle en V, des projets from scratch, de refonte et de TMA évolutive. Son parcours technique, qu’il a su entretenir, l’a amené à occuper, en parallèle du pilotage de projet, un rôle de directeur technique sur des projets structurants.

Il poursuit actuellement les certifications TOGAF et une formation en intelligence artificielle, afin de renforcer son positionnement à la croisée de la direction technique et du management de projet.

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