Cet article va aborder le cas des biais cognitifs et comment ils impactent le management de projet.
D’après la norme ISO 21502 : 2020, la définition universelle du management de projet est la suivante : “activités coordonnées visant à piloter et maîtriser l’atteinte d’objectifs convenus”.
Pour clarifier, la gestion de projet consiste à planifier, organiser et gérer des ressources pour atteindre des objectifs spécifiques. Ces objectifs sont, en principe, la création d’un produit ou d’un service avec pour but d’obtenir un résultat unique.
Au cœur de cette discipline, le chef de projet est la pierre angulaire qui s’appuie sur les meilleures pratiques et concepts. Il orchestre, le mieux possible, les différentes phases du projet.
Pourtant, du fait de son expérience et selon le contexte dans lequel il se trouve, malgré toute son expertise et son savoir-faire, il sera confronté à un ennemi invisible. Cet ennemi, tapis dans son inconscient, est le biais cognitif.
Au-delà de l’aspect psychologique du biais cognitif, ce qui va nous intéresser en tant que chef de projet est de comprendre comment cela peut influencer la conception et le pilotage de nos projets. Et c'est mon objectif en rédigeant cet article.
Dans les sections suivantes, nous allons tenter de comprendre certains mécanismes cognitifs. Nous verrons ensuite comment les biais cognitifs peuvent interférer.
Puis, nous allons faire un focus sur quelques-uns des principaux biais cognitifs en les définissant et en identifiant leurs impacts dans le management de projet.
Enfin, nous proposerons des stratégies pour les identifier et limiter les effets négatifs tout en reconnaissant leurs aspects positifs pour mieux les exploiter.
Comment les biais cognitifs influencent vos décisions ?
Daniel Kahneman, poursuivant ses recherches, a rédigé plus tard un autre ouvrage intitulé “Système 1/Système 2”.
Dans ce livre, il a défini un modèle de fonctionnement du cerveau en le divisant en deux systèmes de pensée.
- Le premier, relatif à l'émotion, est rapide et instinctif, c’est le « système 1 ».
- Le second quant à lui est lié à la logique et l’analyse, donc plus lent, mais plus réfléchi, c’est le « système 2 ».
Dans son ouvrage, il analyse comment les deux systèmes interagissent dans un processus de décision.
Il a déterminé qu'ils peuvent être à la fois complémentaires et conflictuels.
C'est de cette manière qu'ils peuvent fortement influer sur la qualité de nos décisions et de nos jugements.
Il en résulte que le principal facteur d'erreur dans la prise de décision est dû aux biais cognitifs.
Kahneman les associe essentiellement au système 1, dont la fonction est de répondre rapidement à toutes les situations qui se présentent.
Dès à présent, on peut comprendre qu’ils sont souvent responsables de nos conclusions hâtives et de nos erreurs de jugement.
C’est pourquoi connaître ces biais cognitifs et leur influence est crucial pour le chef de projet.
Cela l'aidera à améliorer sa gestion de projet et à éviter des erreurs qui pourraient mener ses projets à l'échec.
Commençons par quelques définitions dans la prochaine section afin de mieux cerner ce que nous appelons “biais cognitifs”.
Définir le biais cognitif
Voici plusieurs définitions de différentes sources qui donnent une explication sous plusieurs angles de ce que nous appelons les biais cognitifs :
- "Un biais cognitif est une déformation de la réalité perçue, qui influence nos décisions de manière automatique et parfois inconsciente, affectant ainsi la qualité de nos choix." Source : Harvard Business Review France
- "Les biais cognitifs sont des mécanismes psychologiques qui nous poussent à dévier de la rationalité dans nos prises de décision, souvent en raison de schémas mentaux ou d'expériences passées." Source : Les Échos Exécutives
- "Les biais cognitifs représentent des erreurs dans le traitement de l'information, résultant en des jugements ou des décisions non optimales, souvent inconscients." Source : Le Journal du Net (JDN)
- "Un biais cognitif est une tendance à interpréter les informations de manière subjective, ce qui peut entraîner des erreurs de jugement dans la gestion de projets." Source : Projet & Performance
D'après ces différentes sources, nous pouvons discerner les notions d’automatisme et d’erreur dans l'interprétation des informations.
Elles soulignent également l’importance de l’inconscient, qui nous pousse à reproduire systématiquement les mêmes erreurs si nous n’y prêtons pas attention.
Pourquoi identifier les biais cognitifs en gestion de projets?
Dans la gestion de projet, la planification, l’organisation, la communication et la gestion des risques sont des éléments clés qui reposent sur des aptitudes cognitives et psychologiques essentielles.
Cependant, comme nous l’avons expliqué précédemment, même si les chefs de projet utilisent les meilleures méthodes et pratiques, leurs processus mentaux peuvent être biaisés.
Consciemment ou non, cela peut entraîner des erreurs significatives dans la gestion des projets.
C’est pourquoi il est crucial pour les chefs de projet de pouvoir identifier et comprendre ces biais cognitifs.
Cela leur permettra de mettre en œuvre des stratégies favorisant leur mitigation ou, au contraire, d'exploiter leurs aspects positifs selon le type de biais.
De plus, maîtriser les techniques de communication interpersonnelle permet de mieux anticiper ces erreurs de jugement et d'améliorer la collaboration au sein des équipes projet, renforçant ainsi la cohésion et l'efficacité collective
Nous verrons comment ces biais peuvent fausser la prise de décision en conduisant à des jugements erronés et des estimations imprécises.
Le fait de les identifier favorise l’optimisation de la planification et le développement de plans plus réalistes.
Cela favorise aussi la gestion des risques de manière plus efficace et rigoureuse.
De la même manière, le chef de projet pourra promouvoir une culture d'ouverture et d'inclusivité où les différentes opinions seront valorisées.
Aussi, en prenant conscience de ces biais, les équipes peuvent effectuer des évaluations plus justes et constructives.
C’est pourquoi nous allons voir plus précisément ces effets dans la prochaine partie dédiée aux principaux types de biais.
Nous identifierons les impacts de chaque biais sur la gestion de projet.
Nous terminerons par un tableau de synthèse qui met en relation chaque biais par rapport au management de projet en se basant sur les PMBOK 6 et 7.
Principaux biais cognitifs en gestion de projet
Dans cette section, nous allons définir les principaux biais cognitifs, ainsi que quelques exemples pour comprendre les différents impacts et enjeux de chaque biais.
1) Définitions
Voici les principaux biais cognitifs en gestion de projet :
2) Impact et solutions
De quelles manières ces biais provoquent des erreurs de management de projet ?
Voici quelques exemples pour comprendre les différents impacts et enjeux de chaque biais présenté dans la section précédente :
Biais d'optimisme
- Impact : Le Chef de Projet sous-estime les risques, les délais et les coûts.
- Solution de contournement : Utiliser des techniques d'estimation basées sur les données historiques, appliquer une marge de sécurité et faire des revues avec des tiers objectifs.
Biais de confirmation
- Impact : Le Chef de projet ignore les informations ou les risques qui viennent contrarier son hypothèse initiale.
- Solution de contournement : Encourager la critique constructive, consulter des sources d'information diversifiées et utiliser la méthode de "l'avocat du diable".
Effet de cadrage
- Impact : Par exemple, la priorisation des tâches, par l'équipe ou les parties prenantes, est biaisée à cause de la manière dont les risques ou les enjeux ont été formulés par un tiers.
- Solution de contournement : Présenter les informations sous différents angles et rester factuel pour évaluer objectivement toutes les options.
Biais de statu quo
- Impact : On a tendance à rester dans notre zone de confort, et on fait preuve de réticence à adopter des nouvelles méthodes ou outils.
- Solution de contournement : Favoriser la réflexion sur les avantages et inconvénients du changement
Biais de planification
- Impact : Le chef de projet fait valider et fédère sur des plannings irréalistes (combinaison du biais d’optimisme et de l’effet de cadrage).
- Solution de contournement : Utiliser par exemple un WBS et faire des simulations de scénarios.
Biais d'ancrage
- Impact : Le chef de projet reste ancré sur ses premières estimations qu’il utilise comme abaque sans les remettre en question, ce qui risque d’affecter ses prévisions ultérieures.
- Solution de contournement : Remettre en question les premières hypothèses en effectuant des revues régulières.
Biais d'autorité
- Impact : Le chef de projet suit les directives sans les remettre en question ou accorde trop d’importance à l’opinion de certains experts sans chercher d’alternative.
- Solution de contournement : Consulter des experts indépendants pour avoir d’autres avis et écouter ceux qui ont des avis contradictoires.
Effet Dunning-Kruger
- Impact : Que ce soit pour lui-même ou pour évaluer des ressources, le fait de mal évaluer les compétences requises peut mener à effectuer un mauvais RACI.
- Solution de contournement : Mettre en place des évaluations de compétences régulières et promouvoir le développement professionnel continu pour toutes les parties impliquées.
Biais rétrospectif
- Impact : Lors de la rétrospective du projet, le chef de projet, fort de sa conviction que les erreurs auraient pu être évitées simplement ou convaincu d’avoir eu raison dans son analyse initiale, va biaiser l’analyse en minimisant les causes de certaines anomalies.
- Solution de contournement : Adopter une approche factuelle lors des revues de projets.
Un autre outil intéressant pour enrichir ces revues est le rapport d’étonnement, qui peut apporter un regard extérieur et révéler des biais ou des pistes d’amélioration inattendues dès les premières étapes du projet.
Biais de groupe (Groupthink)
- Impact : Lors d’un atelier, le chef de projet va se plier à l’avis général et ignorer les opinions divergentes, minimisant ainsi l’effet brainstorming et la qualité de la créativité des échanges.
- Solution de contournement : Inviter des facilitateurs neutres dans les réunions et utiliser les votes anonymes.
Biais de disponibilité
- Impact : Le chef de projet voulant aller vite va utiliser les derniers abaques qu’il a eus récemment en tête et ne va pas prendre le temps de les remettre en cause.
- Solution de contournement : Prendre le temps de collecter un minimum de données fiables au lieu de faire des évaluations entre deux portes.
Tableau de synthèse : Identifier et anticiper les biais cognitifs
Voici un tableau de synthèse pour vous permettre d’identifier à quel moment du projet, vous risquez d’être le plus soumis à certains biais.
Vous pourrez alors mettre en œuvre les solutions de contournement proposées précédemment au bon moment.
1) PMBOK6
Type de biais | Groupes de processus | Domaines de connaissance |
---|---|---|
Biais d'optimisme | Planification | Gestion des risques Gestion du contenu Gestion du coût |
Biais de confirmation | Surveillance et maîtrise | Gestion de la qualité Gestion des risques |
Effet de cadrage | Initiation et planification | Gestion des parties prenantes Gestion de la communication |
Biais de statu quo | Exécution et clôture | Gestion du changement Gestion des parties prenantes |
Biais de planification | Planification | Gestion du temps Gestion du coût Gestion du contenu |
Biais d'ancrage | Initiation et planification | Gestion du contenu Gestion des risques |
Biais d'autorité | Exécution | Gestion des parties prenantes Gestion des ressources |
Effet Dunning-Kruger | Exécution | Gestion des ressources humaines Gestion de la qualité |
Biais rétrospectif | Clôture | Gestion des leçons apprises Gestion de la communication |
Biais de groupe (Groupthink) | Exécution | Gestion des parties prenantes Gestion des ressources |
Biais de disponibilité | Surveillance et maîtrise | Gestion des risques Gestion de la qualité |
2) PMBOK7
Type de biais | Principes | Domaines de performance |
---|---|---|
Biais d'optimisme | Optimiser la livraison de la valeur Maîtriser la complexité | Livraison de la valeur, Risque, Planification |
Biais de confirmation | S'assurer de la transparence Favoriser la réflexion basée sur des preuves | Qualité, Risque, Mesure et contrôle de la performance |
Effet de cadrage | Favoriser les comportements éthiques Engagement des parties prenantes | Parties prenantes, Planification |
Biais de statu quo | S'adapter au changement Engagement des parties prenantes | Parties prenantes, Changement, Transition |
Biais de planification | Favoriser la réflexion basée sur des preuves S'assurer de la transparence | Planification, Coût, Livraison de la valeur |
Biais d'ancrage | Optimiser la livraison de la valeur Créer un environnement collaboratif | Livraison de la valeur, Risque, Parties prenantes |
Biais d'autorité | Favoriser les comportements éthiques Créer un environnement collaboratif | Parties prenantes, Équipe, Qualité |
Effet Dunning-Kruger | Favoriser la réflexion basée sur des preuves Apprentissage continu | Équipe, Qualité, Livraison de la valeur |
Biais rétrospectif | Apprentissage continu et amélioration Créer un environnement collaboratif | Apprentissage et connaissances, Clôture, Parties prenantes |
Biais de groupe (Groupthink) | Créer un environnement collaboratif Engagement des parties prenantes | Qualité, Risque, Mesure et contrôle de la performance |
Biais de disponibilité | S'assurer de la transparence Favoriser la réflexion basée sur des preuves | Qualité, Risque, Mesure et contrôle de la performance |
Un peu d’histoire
C’est en 1970 qu'apparaît pour la première fois la notion de « biais cognitif ».
Ce terme a été introduit par Daniel Kahneman et Amos Tversky. Il leur a servi, dans un premier temps, à illustrer pourquoi de grands chefs d’entreprises et des personnes très intelligentes ont pu prendre des décisions stratégiques irrationnelles et fatales à l’économie de leur entreprise.
Ces grands psychologues ont ensuite rédigé « la théorie des biais cognitifs » dans laquelle ils ont mis en avant le fait que le cerveau humain n'est pas fiable et peut être influencé.
Ils ont ainsi pu démontrer qu'il existe des facteurs mentaux et contextuels qui peuvent biaiser la perception de la réalité et affecter les prises de décisions.
Depuis lors, plusieurs recherches ont été menées pour identifier les différents types de biais qui peuvent nous impacter au quotidien.
Conclusion
En conclusion, avec la découverte des biais cognitifs, Daniel Kahneman nous a transmis un atout majeur.
En effet, en prenant conscience de nos propres biais cognitifs ou de ceux qui nous entourent, le chef de projet peut alimenter son processus d’amélioration continue.
Ainsi, en identifiant les différents biais qui existent, le chef de projet peut imaginer des solutions pour les contourner.
En connaissant à quel moment dans le cycle de vie de son projet, ils apparaissent, le chef de projet peut les anticiper et les mitiger…
De même, le chef de projet peut générer un effet vertueux, car finalement, il va pouvoir renforcer la collaboration au sein de l’équipe et il va se remettre en question et prendre de meilleures décisions.
En somme, le chef de projet va tout simplement augmenter ses chances de succès dans la gestion de projets.