Une des qualités importantes d’un bon chef de projet est sa capacité à prendre des bonnes décisions, ou faire prendre de bonnes décisions. Et ce, si possible, rapidement.
Il y a des petites décisions, des décisions plus importantes. En fonction du contexte, de l’organisation, certaines se prennent rapidement, d’autres prennent plus de temps.
Comment faire en sorte que le processus décisionnel ne freine pas les projets ?
Voyons ce sujet plus en détail et essayons d’y apporter des solutions pour que la prise de décision ne soit pas un obstacle ou un agent de complication pour les projets.
Pourquoi faut-il prendre des décisions dans un projet ?
La question peut paraître innocente, mais revenons à la base.
En anglais, on utilise le terme "project manager" ; "manager" implique un certain degré de responsabilité, une autonomie pour prendre des décisions.
On attend d’un chef de projet qu’il exécute correctement un projet, et qu’il le livre en temps et en heure, dans l’enveloppe budgétaire allouée et avec le minimum de qualité requis.
En fait, la vie d’un chef de projet est faite d’une suite d’arbitrages, de choix et de décisions de diverses importances.
Quelques exemples :
- Valider/Accepter la livraison d’un fournisseur
- Valider les heures de l’équipe interne
- Découper l’ensemble d’un projet en éléments de travail plus simples
- Créer et organiser le planning
- Mettre en exécution un plan de réponse à un risque
- etc…
D’un autre côté, certaines décisions seront prises par le sponsor ou le COPIL :
- Augmentation du budget
- Approbation de demande de changement
- Altération du planning initial
- etc…
La liste est en fait très grande.
En résumé, le chef de projet est un organisateur, un communicant ET un preneur de décision !
Nous allons voir dans les prochaines lignes ce qu’est exactement le processus de décision, quelles en sont les difficultés et comment optimiser le tout.
Quel est le processus décisionnel dans les projets et les organisations ?
Commençons déjà par définir ce qu'est un processus décisionnel ainsi que ses composants.
1) Le processus décisionnel
Mais qu’est-ce qu’un processus décisionnel ?
C’est une série d'étapes visant à choisir la meilleure option parmi plusieurs alternatives.
Il se décompose de la manière suivante :

Chaque étape a son importance et peut apporter des difficultés.
Prise de décision consensuelle ou imposée ?
En fonction des cultures, la prise de décision peut être plutôt consensuelle ou plutôt imposée.
Ci-dessous un schéma décrivant le type de décision, venant du site Culture map d'Erin Meyer.

On peut voir de grandes différences entre le Japon d’un côté, la Chine, le Maroc et le Nigéria d’un autre.
C’est un point à prendre en compte pour éviter des déconvenues :
- La décision par consensus peut prendre plus de temps à être prise, mais en contrepartie sera plus facile à exécuter.
- La décision imposée (top-down) est plus rapide, mais peut parfois être remise en question.
2) La notion de gouvernance
Liée à la prise de décision, le concept de gouvernance est essentiel :
Il désigne les mécanismes, les processus et les entités par lesquels des décisions sont prises et mises en œuvre au sein du projet et de l’organisation.
Voyons cela plus en détails :
2.1) Structure et organisation
- Structure organisationnelle claire.
- Rôles et responsabilités bien définis.
- Présence de comités, de conseils et d'autres organes de décision.
2.2) Transparence et responsabilité
- Processus décisionnels transparents.
- Responsabilités des décideurs clairement définies (notion d’accountability en anglais).
2.3) Participation
L’idéal est d’inclure le plus de parties prenantes concernées dans le processus de décisions :
- Définition du problème
- Recherche d’information
- Élaboration des alternatives
- Prise de décision elle-même
Cela ne veut pas dire que tout le monde doit décider, mais que la participation de ceux qui peuvent contribuer est essentielle.
2.4) Efficacité et efficience
Il faut s’assurer que les ressources sont utilisées de manière efficace et efficiente pour atteindre les objectifs fixés.
2.5) État de droit
La gouvernance repose sur le respect des lois et des règlements.
Cela implique la mise en place de mécanismes pour garantir que les décisions sont conformes aux cadres juridiques et réglementaires.
2.6) Suivi et évaluation
Une bonne gouvernance inclut des mécanismes de suivi et d'évaluation pour mesurer l'impact des décisions et apporter des ajustements si nécessaire.
2.7) Adaptabilité et innovation
La gouvernance doit être capable de s'adapter aux changements et d'innover pour répondre aux défis émergents.
Une gouvernance doit contenir des procédures, des règles, mais également des principes qui permettent de s’adapter et de traiter certaines exceptions.
3) La notion d’escalade
Le processus d'escalade dans la prise de décision fait référence à la manière dont les décisions sont transférées à des niveaux hiérarchiques supérieurs lorsque les parties prenantes initiales ne peuvent pas résoudre un problème ou prendre une décision de manière satisfaisante.
Ce processus devrait être clairement défini dans la gouvernance de l’organisation.
En voici une description détaillée :

Le processus d'escalade est essentiel pour garantir que les décisions importantes soient prises de manière appropriée et que les ressources et l'autorité nécessaires soient mobilisées lorsque cela est nécessaire.
Il permet également de maintenir la transparence et la responsabilité à tous les niveaux de l'organisation.
Où et quelles sont les principales difficultés ?
En théorie, dans un monde idéal, tout cela fonctionne "efficacement".
Néanmoins, à la lecture du paragraphe précédent, et en ayant un peu d’expérience, on se rend compte qu’il y a des points de "frictions" lors du processus de décision.
Voici les principaux :
1) La recherche et la collecte d’information
On dit souvent qu’une décision est prise dans un certain contexte, avec une certaine quantité et qualité d’information.
Le manque d’information, la mauvaise qualité des informations peuvent influencer la prise de décision, parfois de manière négative.
D’autre part, les décisions sont parfois retardées, les décideurs considérant qu’ils n’ont pas assez d'informations pour décider "correctement".
2) La définition des alternatives
Il faut savoir prendre le temps de rechercher des solutions au problème exposé.
Les solutions "évidentes" ne sont pas toutes les meilleures.
Des séances de brainstorming peuvent être nécessaires.
Rien de pire que d’avoir à choisir entre "la peste et le choléra".
D’un autre côté, rechercher de manière exhaustive toutes les solutions possibles peut retarder le processus de prise de décision.
3) La transparence
Un autre fait courant : la décision est prise, mais son "explication" n’est pas claire, pas bien expliquée.
Dans certains cas, il peut s’agir de décisions ayant des motifs confidentiels, mais malheureusement cela peut aussi venir de décisions peu objectives, peu éthiques ou partiales.
C’est un sujet sensible qui peut affecter sensiblement l’acceptation et l’exécution d’une décision.
4) L’approbation et l’acceptation de la décision en elle-même
En supposant que la décision soit transparente et cohérente, le fait de la prendre ne suffit pas.
Il faut la divulguer, la communiquer, l’expliquer afin que les parties prenantes en prennent connaissance ET y adhèrent.
C’est l’un des volets de la gestion de changement : de nombreuses décisions impliquent un changement.
5) L’exécution de la décision
Une conséquence directe du point précédent : une décision qui ne fait pas l’unanimité, qui n’a pas été bien communiquée ou expliquée court le risque de n’être pas bien exécutée.
De plus, il ne suffit pas de décider, il faut accompagner l’exécution et confirmer que le résultat obtenu est conforme à ce qui avait été prévu.
Comment faire pour maintenir une efficacité sur ce sujet ?
Il s’avère donc que la prise de décision n’est pas quelque chose de si simple, et que le parcours est semé d’embûche !
Comment peut-on réduire les difficultés et faire en sorte que prendre une décision ne devienne pas un problème, un générateur de retard ?
Voici quelques points à explorer :
1) La connaissance des parties prenantes
C’est la base.
Ce n’est pas un hasard si le "Standard for Portfolio Management 5th" consacre un chapitre à l’engagement des parties prenantes.
Identifier, catégoriser et comprendre les parties prenantes permet de mieux préparer les prises de décisions :
- Appétence aux risques
- Mode de fonctionnement : L’Analytique, Le Politique ou L’instinctif
- Expertise
- Besoin en données, en information
- Degré d’implication dans le projet
- Bénéfices attendus
Concrètement :
- Impliquer les personnes de l’équipe qui peuvent définir le problème, proposer des alternatives
- Demander aux experts leurs avis et les informations pertinentes
- Préparer vos présentations aux décideurs en fonction de leur profil
2) L’importance des données
Nous avons ici un grand paradoxe :
Savoir recueillir suffisamment d’information pour aider à la bonne décision, sans pour autant se figer dans l’attente de toutes les informations.
En effet, et particulièrement dans des pays comme la France, on aura tendance à vouloir être le plus précis, le plus complet possible avant de prendre une décision "de peur" de ne pas prendre la bonne décision !
3) La définition des rôles et responsabilités
Un proverbe brésilien dit "qu’un chien avec deux maîtres peut mourir de faim" !
Combien de fois ne voit-on pas des personnes se renvoyer les responsabilités, le tout devenant un magnifique jeu de ping-pong ?
À la base de tout projet, il faut un RACI (Responsible, Accountable, Consulted, Informed), idéalement nominatif.
Cela permet de définir clairement qui fait quoi, et surtout qui décide quoi !
Responsible vs. Accountable :
D’un point de vue linguistique et sémantique, il y a souvent des débats concernant le R(esponsible) et le A(ccountable).
Accountable : traduction : Responsable (au sens de rendre des comptes) :
Être accountable signifie être responsable de la réussite ou de l'échec d'une tâche ou d'un projet.
Cela implique une obligation de rendre des comptes et de répondre des résultats obtenus.
Une personne accountable est celle qui doit expliquer les décisions prises et les résultats obtenus.
Responsible: traduction : Responsable (au sens de devoir accomplir une tâche) :
Être responsible signifie être chargé de l'exécution d'une tâche ou d'une activité spécifique.
Cela implique de s'assurer que le travail est effectué correctement et dans les délais impartis.
Une personne responsible est celle qui doit accomplir les tâches assignées.
4) Le timebox décisionnel
L’idée ici, lorsque l’on se trouve dans un contexte ou la prise de décision peut être "rapide", est de définir une deadline pour décider, durant une réunion par exemple ou en définissant une date limite.
Cela met une certaine pression, qui la plupart du temps est bénéfique.
5) La méthode des six chapeaux
Afin de pouvoir évaluer rapidement les tenants et aboutissants du contexte, pouvoir élaborer des alternatives, l’idée est d’analyser le sujet sous plusieurs angles :
- Les faits, les informations et les données
- Les émotions et les intuitions
- Les risques et les problèmes
- Les bénéfices et les opportunités
- Les idées et les solutions
- L’organisation et la structuration de l’exécution
En faisant cela dans une réunion impliquant les personnes pouvant réellement contribuer au sujet, on arrive en général à une vision globale et détaillée du contexte.
6) La définition de la gouvernance et du processus d’escalade
C’est un blocage courant : qui doit décider ?
Parfois, à cause de valeurs financières élevées, de la criticité d’un projet, du manque d’implication du sponsor, on se trouve devant une situation désagréable : personne ne veut décider.
Se référer au RACI, à la gouvernance pour confirmer le rôle de chacun.
En cas de doute, rappeler que c’est le rôle du sponsor de prendre les décisions pour un projet.
"Escalader" le sujet par l’intermédiaire du PMO, du Programme.
Il ne faut surtout pas rester "immobile", dans l’attente.
En fonction de la culture de l’entreprise, et de l’appétence aux risques, le chef de projet peut éventuellement prendre des responsabilités légèrement au-dessus de celles qui lui sont allouées.
Cela dépend de chacun et du contexte.
Le dicton "Il vaut mieux demander le pardon que la bénédiction" ne s’applique pas toujours.
7) L’acceptation et la communication de la décision
Certaines décisions peuvent être considérées comme polémiques ; c’est-à-dire qu’elles ne vont pas satisfaire tout le monde.
Néanmoins, une fois le processus de décision achevée, il faudra que cette décision soit communiquée à tous, dans une optique pédagogique, pour qu’elle soit comprise et acceptée :
- Communiquer le contenu de la décision et les principaux points en rappelant qui l’a prise. Plus la décision a été prise par quelqu’un haut dans la hiérarchie, plus elle a des chances d’être acceptée.
- Rappeler, expliquer le cadre de la décision, le pourquoi, le comment, les bénéfices attendus.
- Lorsque la décision impacte profondément le projet, demandez à l’équipe de travailler ensemble pour mettre à jour le plan projet, afin d’augmenter leur acceptation.
8) La garantie d’une bonne exécution
Il ne suffit pas de prendre une bonne décision, encore faut-il l’exécuter correctement !
C’est ici un point parfois compliqué dans certaines organisations : la lenteur de l’exécution ou l’exécution partielle.
Particulièrement si certains points précédents n’ont pas été traités correctement tels que la communication ou l’acceptation de la décision.
Lorsque la décision n’a pas été bien "vendue" en interne, bien expliquée, il se peut qu’il y ait des réticences, des désaccords.
En ayant une approche de gestion de changement, il est bon de :
- Comprendre les réticences et s'efforcer de les diminuer.
- Continuer à expliquer les raisons de la décision et les bénéfices escomptés.
- Et en dernier lieu, rappeler qu’une décision prise peut ne pas satisfaire tout le monde, mais qu’elle doit quand même être exécutée.
Exécution en mode agile ?
Il est possible qu’au milieu du chemin, la décision soit remise en cause, ou que la solution trouvée soit "adaptée".
C’est parfois le cas lorsque les décisions sont prises rapidement, avec un minimum d'informations.
Pas de panique ! il faut dans ce cas revoir le contexte à la lumière des nouvelles informations ou faits et "rectifier le tir".
Mais attention, cela doit se faire seulement si de nouveaux éléments modifient le scénario.
Que cela ne soit pas un "rétropédalage" dû à un manque de confiance, à des influences externes subjectives ou d’autres facteurs plus ou moins irrationnels.
9) La confirmation de la bonne exécution
La décision a été prise, et elle a été exécutée.
Il faut maintenant confirmer que l’objectif a été atteint, et que si nécessaire le registre des leçons apprises a été mis à jour !
Concrètement, dès le départ, il est bon de définir des critères d’acceptation du résultat ; cela peut être simplement une mise à jour de budget, une nouvelle version du planning.
Définissez quelques critères et validez-les.
Un autre point :
Célébrez la bonne exécution dans le cas de décisions qui au départ se sont avérées polémiques.
Cela permet de maintenir la cohésion de l’équipe et confirmer que le projet est dans le bon chemin.
Conclusion
Petites décisions, grandes décisions, elles font partie de la vie quotidienne d’un chef de projet.
Que cela soit une décision directe, ou une préparation à la décision, cela doit se faire de manière structurée, objective et coordonnée afin que les bonnes décisions soient prises, que cela soit fait rapidement, mais sans précipitation, et que l’exécution qui en découle soit exemplaire.
Entre la décision prise à la va-vite, impulsive, irréfléchie, et la prosternation de la décision, dans l’attente des "bonnes" informations, il y a un monde qu’il faut apprendre à évaluer et à gérer.