Appétence aux risques : Définition, aspects et stratégies (+Exemples)

Pour rappel, un projet est « une initiative temporaire initiée dans le but de fournir un produit, un service, ou un résultat unique ». Par essence, il intègre de l’incertitude. C’est ici qu’intervient la gestion de risques.

Grâce au PMBOK 7th Edition, ou au standard pour la Gestion de risques, vous aurez une approche méthodologique, structurée. Mais, il reste une partie humaine dans l’équation. Cette dimension humaine est fondamentale. 

En effet, derrière chaque décision, chaque évaluation de risque, il y a des individus, avec leurs propres appréhensions et leur propre appétence aux risques.

Nous verrons dans cet article, comment un chef de projet peut mieux comprendre les postures face aux risques, qu’elles soient individuelles ou corporatives, ainsi que la psychologie humaine derrière, et intégrer cela dans la gestion de projets.

Appétence aux risques : Définition

L'appétence aux risques est le niveau de risque qu'une personne ou une organisation est prête à affronter dans le but d'atteindre des objectifs ou saisir des opportunités.

Voici comment elle est défini selon Pricewaterhouse Coopers (PwC) : « Bien défini, l'appétit pour le risque traduit métrique et méthodes de risque dans les décisions, les rapports et les discussions quotidiennes. Il fixe les limites qui forment un lien dynamique entre la stratégie, la fixation d'objectifs et la gestion des risques. ».

Pour garantir une meilleure appétence aux risques dans nos projets, il est important d'avoir une large compréhension des mécanismes psychologiques et culturels.

La psychologie derrière l’appétence aux risques

L'attitude face au risque est directement liée au comportement face à l’incertitude et à la prise de décision.

Ce ne sont pas des attitudes toujours rationnelles et peuvent même dépendre de la biologie.

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1) La théorie des perspectives

La théorie des perspectives (en anglais : Prospect theory) est une théorie économique développée par Daniel Kahneman et Amos Tversky en 1979.

On peut la résumer ainsi : en général l’être humain possède une aversion au risque pour les gains et une attirance au risque pour les pertes.

Voici quelques exemples de problème de décision :

Exemple 1 :

  • Un gain certain de 500 $
  • Un jeu « J » offrant 50 % de chances de gagner 1 000 $ et 50 % de ne rien perdre.

Quelle option choisiriez-vous ?

Les résultats de Kahneman et Tversky indiquent que 84 % des participants choisissent le gain certain de 500 $ plutôt que le jeu « J », alors que ces deux options présentent une valeur monétaire attendue égale.

Les décideurs seraient donc bien averses au risque.

Cette aversion au risque pour les gains se traduit par une préférence pour la sécurité et la certitude, évitant ainsi les situations où, même si les gains potentiels sont plus élevés, le résultat reste incertain. 

En revanche, cette aversion se transforme en attrait pour le risque lorsqu'il s'agit de minimiser ou d'éviter les pertes, poussant les individus à opter pour des choix potentiellement plus périlleux.

Exemple 2 :

  • Une perte certaine de 500 $
  • Un jeu « J » offrant 50 % de chances de perdre 1 000 $ et 50 % de ne rien perdre.

Quelle option choisiriez-vous ?

Dans ce cas, la configuration de résultats observés par Kahneman et Tversky se renverse comparativement au premier problème.

En effet, 69 % des participants préfèrent le pari offrant 50 % de chances de perdre 1000 $ à la perte certaine de 500$.

Les participants font ainsi preuve d’un comportement de prise de risque.

2) La valeur subjective

Le concept de valeur subjective, quant à lui, se réfère à la valeur qu'un individu attribue à un résultat particulier en fonction de ses préférences personnelles.

Cette approche suppose que les individus évaluent les résultats potentiels d'une décision en fonction de leur utilité subjective.

Cette utilité peut varier d'une personne à l'autre en fonction de leurs valeurs, de leurs croyances et de leurs expériences passées.

Le concept de valeur subjective ne prend pas en compte les effets de cadrage ou les biais cognitifs qui peuvent influencer l'évaluation des résultats potentiels.

Cela veut dire qu’en fonction des individus, des entreprises, les prises de décision face à l’incertitude peuvent être différentes.

3) Qu’apporte la neurobiologie aux théories de décision ?

Les recherches en neurobiologie ont permis de mieux comprendre comment les émotions, les récompenses, les notions de pertes et de risques influencent les décisions, et les différences individuelles associées :

  • Les circuits neuronaux de la récompense : jouent un rôle important dans la prise de décision en influençant notre motivation à choisir une option plutôt qu'une autre
  • Les émotions et la prise de décision : elles peuvent influencer notre perception des risques et des récompenses, ainsi que notre capacité à prendre des décisions rationnelles
  • Les biais cognitifs : tels que le biais de confirmation ou le biais d'ancrage, ont une base neuronale. Ces biais peuvent influencer notre prise de décision en nous amenant à privilégier certaines informations au détriment d'autres
  • Les différences individuelles : dans la structure et la fonction cérébrales peuvent influencer la prise de décision. Par exemple, les personnes atteintes de troubles de l'humeur ou de troubles anxieux peuvent avoir des difficultés à prendre des décisions en raison de différences dans la régulation émotionnelle.

Ceci étant dit, biologiquement, notre cerveau est façonné d’une certaine manière et cela influence nos prises de décisions.

Une vision culturelle

Dans le cadre de la collaboration avec des équipes et parties prenantes multiculturelles, il est important de comprendre comment l'aspect culturel influence l'attitude face au risque.

Identifier l’attitude face aux risques des parties prenantes, en se rappelant que cela se fait à plusieurs niveaux :

  • Secteur d’activité
  • Pays, Région
  • Entreprise, Individuel

1) Secteur d’activité

La gestion des risques n’est pas agnostique du secteur d’activité. Chaque secteur a ses risques clairement identifiés et un état d’esprit souvent commun.

Voici quelques exemples :

  • Agroalimentaire : risques sanitaires, risques logistiques liés à la chaîne du froid.
  • Chimie, Nucléaire : explosion, contamination.
  • Banque, Télécom : le temps de réponse et la disponibilité des systèmes est critique.
  • Industrie pharmaceutique : risques liés à l’efficacité et au temps de développement R&D.
  • Technologie : l’obsolescence, la concurrence.

"Travaillant pour un projet informatique d’une compagnie aérienne, nous ne comprenions pas au départ pourquoi la lenteur des systèmes pouvait être un facteur critique pour l’entreprise. Lorsque on nous a expliqué que la file d’attente du check-in allait jusqu’à l’extérieur de l’aéroport, l’importance du problème a été plus claire."

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2) Pays, Région

En utilisant l’approche du psychologue Geert Hofstede à propos de l’incertitude en fonction des pays, on obtient les résultats suivants pour la France, Le Maroc, Le Sénégal et les Etats Unis :

risques incertitude par pays

Explications :

  • Les Français n’aiment pas les surprises. Il y a un besoin de règles, de lois, de planifier. L’incertitude est très anxiogène.
  • La préférence des Marocains est également d’éviter les incertitudes et préfèrent travailler dans un cadre clair, tout en étant plus flexibles et ouverts aux nouveautés.
  • Le Sénégal se situe au milieu de l’échelle.
  • La culture Américaine est clairement propice à la prise de risque, à l’innovation. « Tout est possible ».

De part le background culturel, des personnes auront donc naturellement des postures différentes face à l’incertitude.

A prendre en compte tout en évitant les stéréotypes.

3) Entreprise, Individuel

L’appétence aux risques au niveau de l’entreprise et au niveau des parties prenantes sera donc conséquence des deux points évoqués plus hauts, en ajoutant les particularités propres aux individus, aux départements aux organisations.

En plus de la connaissance et de la compréhension théoriques de base, il faut donc affiner l’approche par l’observation des comportements.

Pour un même secteur d’activité, des entreprises peuvent avoir des approches différentes.

"Pensez au marché des PC dans les années 90 : IBM a adopté une approche conservatrice en matière de gestion des risques, tandis que Dell a adopté une approche plus agressive. HP a adopté une approche plus équilibrée, en se concentrant sur l'innovation tout en gérant les risques de manière prudente. Ces différences d'approche en matière de gestion des risques ont eu un impact significatif sur les performances des entreprises et leur survie."

Quelles stratégies mettre en place pour mieux comprendre l’appétit aux risques dans les projets ?

L'insensibilité des membres d'une organisation face aux risques, compte parmi les erreurs courantes liées à la maitrise de projet.

Cela pourrait progressivement complexifier les processus de gestion de projet au sein d'une organisation.

Cependant, avec une bonne compréhension des mécanismes psychologiques et culturels, nous pouvons garantir une meilleure appétence aux risques dans nos projets.

Il faut maintenant mettre cela en pratique.

Comment rassurer les équipes ?

Comment se préparer à l’incertitude associée à un projet ?

1) Identifier et comprendre les profils

La première chose à faire est de mieux comprendre le contexte général :

Quelle est l’attitude face à l’incertitude ?

Quelle est l’appétence aux risques ?

Comment ?

  • Accéder aux registres de risques projets existants pour mieux comprendre qualitativement (comment sont décrits les risques) et quantitativement (leur nombre)
  • Étudier le secteur d’activité, la formulation des valeurs et missions de l’entreprise.
  • Échanger avec les autres chefs de projets, les managers, les sponsors pour mieux comprendre leurs approches respectives.
  • Utiliser des outils de cartographie culturelle :
    « Country Comparison tool » de Geert Hofstede
    « Country mapping tool » de Erin Meyer
  • Y-a-t ’il des « traumatismes » individuels ou d’entreprise qui ont marqué les mémoires ?
kit-registre-risques

Modèle du registre des risques

Gérez les risques de vos projets

"J’ai travaillé avec quelqu’un dont l'obsession était l’analyse de contrats de fournisseurs. Certes il est important de lire un contrat, de le comprendre et de se protéger. Mais y passer des heures et des jours devenait une perte de temps. J’ai fini par comprendre que par le passé il avait vécu une situation très difficile due à un contrat mal rédigé …"

N’oubliez pas, que biologiquement et psychologiquement parlant, l’être humain n’a pas naturellement une approche rationnelle et objective face aux risques.

Il est donc de notre devoir de l’aider à mieux appréhender les incertitudes et imprévus.

2) Établir une culture de la gestion des risques

Dans son « Standard pour la gestion des risques des portefeuilles, des programmes et des projets », le PMI recommande de « promouvoir une culture de gestion des risques.

Ceci consiste à :

  • Encourager à identifier les menaces au lieu de les ignorer
  • Insister sur l’aspect bénéfique d’un cycle de gestion de risques : anticiper les événements négatifs, les problèmes, permet de se préparer
  • Développer un esprit positif pour identifier, en plus des menaces, les opportunités.

Gérer les risques n’est pas une activité anxiogène ou négative.

AU CONTRAIRE.

C'est une manière de diminuer le degré d’incertitude, de se préparer face aux imprévus.

Cela peut inclure également la formation des membres de l'équipe à l'identification et à la gestion des risques, ainsi que la création d'un processus de gestion des risques clair et bien défini.

C’est en fait une prise de conscience nécessaire, qui permet de gérer les situations d’incertitude par de l’information, de la méthode et des techniques.

C’est habituer les gens au fait que tout n’est pas défini, figé, et que le but d’un projet est de justement naviguer de la manière la plus efficace possible en eaux troubles.

stratégies appétence aux risques dans les projets

3) Utiliser les méthodes de gestion de risques

C’est une évidence, et il est bon de le rappeler. La meilleure approche est d’insérer l’approche « gestion de risques » dès le début du projet, en commençant par l’identification des risques.

Idéalement cela devrait être fait par TOUTE l’équipe de projet, de manière structurée, en insistant sur le caractère constructif et proactif de la démarche.

Lorsque, face à une liste de risques, on met des réponses et des stratégies de mitigation, on diminue l’incertitude, on structure et on rassure les parties prenantes.

On pourra reprendre l’approche de la théorie des perspectives de la manière suivante :

  • Commencer par une phase d’édition : présenter, organiser et reformuler les options de manière simple et précise.
  • Passer ensuite à la phase d’évaluation pour traiter l’utilité subjective.

4) Utiliser les bons outils 

Afin de confirmer la prise de conscience, il faut habituer les gens à utiliser des outils aussi simples soient-ils, afin de documenter et en quelque sorte de décharger l’anxiété sur du concret.

Voici quelques outils de gestion des risques :

  • Registre des risques : recenser tous les risques identifiés sur le projet, ainsi que leurs caractéristiques, leur probabilité d'occurrence et leur impact potentiel sur le projet.
  • Plan de gestion des risques : décrire la stratégie de gestion des risques du projet, les actions à mettre en place pour gérer les risques identifiés, les responsabilités de chacun et les processus de suivi et de contrôle.
  • Analyse SWOT (Forces, Faiblesses, Opportunités, Menaces) : identifier les facteurs internes et externes pouvant affecter le projet, et évaluer leur impact potentiel.
  • Matrice de probabilité et d'impact : classer les risques en fonction de leur probabilité d'occurrence et de leur impact potentiel sur le projet, afin de déterminer les risques les plus critiques à gérer en priorité.
  • Diagramme de Pareto : visualiser les risques les plus importants en fonction de leur fréquence ou de leur impact, afin de se concentrer sur les risques les plus critiques à gérer en priorité.
  • Arbre des causes : identifier les causes profondes d'un risque ou d'un problème, afin de déterminer les actions correctives à mettre en place pour prévenir ou réduire le risque.
  • Simulation de Monte Carlo : c'est une technique de modélisation statistique qui permet d'évaluer l'impact potentiel des risques sur le projet en utilisant des scénarios aléatoires.

5) Favoriser la communication et la collaboration

Dans la phase d’identification des risques :

Pendant la phase d’analyse et de priorisation des risques :

  • Impliquer de nouveau toutes les parties prenantes.
  • Détecter les tendances anxiogènes en recadrant et en revenant au rationnel et aux faits.

Pendant la partie de préparation des réponses :

  • Valoriser le caractère constructif de la démarche.
  • Penser à gérer les opportunités.

Le tout doit être correctement documenté et accessible à tous.

Ainsi, en cas de doute, chacun peut immédiatement se rassurer en relisant le plan de gestion des risques.

Pendant le projet :

En effet, en supposant un travail de préparation sérieux, la quantité d’imprévu est réduite.

De plus avec l’état d’esprit « gestion de risques » présent dans l’équipe, la réaction sera plus efficace.

Conclusion

Dans le contexte actuel d’incertitude, la gestion de risques devient une part essentielle d’un projet.

Nous sommes ici avec un sujet à forte valeur ajoutée, où la compréhension des comportements humains et des organisations, associée à l’utilisation des méthodologies, des outils, des techniques et une communication de qualité, peut véritablement faire la différence.

Ceci tant d’un point de vue tangible, en délivrant les projets plus efficacement, que d’un point de vue humain, en créant une ambiance plus positive et constructive. 

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Christophe Delalande

A propos de l'auteur

Passionné par la gestion de projet depuis sa certification PMP en 2005, Christophe a géré des projets, des programmes et des portefeuilles, réalisé des intégrations de systèmes informatiques en contexte international sur les 4 continents, et plus particulièrement en Amérique du Sud.
Il travaille quotidiennement en Anglais, Espagnol, Français et Portugais.
Également certifié PMI-RMP et PMI-ACP, il continue à se mettre à jour d’un point de vue technique et méthodologique.
Il est également ceinture noire de Karaté Shotokan. En savoir plus sur Christophe et ses publications

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