Les concepts de Kanban et Kaizen sont aujourd’hui très courants dans le quotidien de la gestion de projets, programmes et portefeuilles.
Mais savez-vous ce que sont les 5S, le Shoshin du Dojo-kun et de ShuHaRi ?
Dans les lignes à suivre, nous allons voir plus en détails ce que ces concepts de philosophie et de culture japonaise ont apporté ou peuvent apporter à la gestion de projet en général.
Kaizen - 改善
Commençons par le plus connu : le Kaizen.
Ce mot est composé de deux idéogrammes : 改 = Changement et 善 = meilleur.
Il est en général traduit par "amélioration continue".
D’un point de vue méthodologie et processus, l’idée est de constamment améliorer ce qui existe pour rechercher plus d’efficacité.
Dans la vie du chef de projet, c’est surtout un état d’esprit : faire en sorte que demain, l’on soit une meilleure version de soi-même qu’aujourd’hui ; que son travail s’améliore constamment.
Comment faire :
- Utiliser les leçons apprises.
- Rechercher les retours d’expérience d’autres projets, d’autres chefs de projets.
- Améliorer ses plans projets, sa documentation.
- Être plus efficace dans l’exécution.
- Rechercher toujours plus d’anticipation, particulièrement dans la gestion des risques.
Méthode des 5S
Initialement, il s'agit d'une méthodologie pour organiser et gérer les espaces de travail de manière efficace.
Elle est très utilisée dans le monde de la production, l’amélioration des environnements de travail.
La méthode des 5S est également un concept enseigné dans les écoles primaires.
Il y a ici 5 étapes :
- Seiri (Sélectionner et supprimer)
- Seiton (Ranger)
- Seiso (Nettoyer)
- Seiketsu (Standardiser)
- Shitsuke (Suivre)
Voyons comment appliquer ces concepts dans la gestion de projet :
1) Seiri – 整理 – éliminer ce qui est inutile
Une approche essentielle pour la gestion de portefeuille : nous recevons plus de demandes que les organisations ont la capacité d’exécuter.
Il faut donc constamment évaluer, catégoriser et prioriser, afin de confirmer les priorités.
Cela implique dans un premier temps d'éliminer les demandes qui ne sont pas alignées à la stratégie de l’entreprise.
Pour rappel, nous avons généralement :
- Des demandes réglementaires qui doivent être réalisées
- Des demandes liées à la maintenance de l’entreprise qui doivent être priorisées
- Des demandes associées à la mission et à la vision de l’entreprise : augmenter les parts de marchés, augmenter la marge, satisfaire le client…
Tout ce qui ne rentre pas dans ces critères doit être rationnellement écarté pour éviter que l’entreprise ne dépense des ressources à des choses en fait “peu utiles”.
Ensuite, catégoriser, prioriser et sélectionner ce qui créera le plus de valeur.
2) Seiton – 整頓 - Ranger
Ici, aucun doute, nous parlons d’organisation.
Ranger, cela implique avoir de l’ordre, des systèmes d’information consistants.
Idéalement un système de gestion de l’information centralisé et à jour.
Dans la pratique, les registres et les bases de données utilisées seront à jour et facilement accessibles.
Rien de pire que de prendre des décisions avec des informations obsolètes, ou de perdre du temps à rechercher des documents ou des templates.
Et d’un point de vue d’organisation personnelle, c’est avoir constamment ses outils et informations disponibles : ordinateurs portables, téléphones mobiles, listes de contacts, mots de passe.
C’est également mettre en place des routines quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles.
3) Seiso – 清掃 - Nettoyer
Lié au concept précédent, prenons dans notre cas l’idée de « nettoyer » au sens figuré : c’est se débarrasser de ce qui est inutile, dépassé.
D’un point de vue planning, le diagramme de Gantt doit être mis à jour le plus régulièrement possible
Les registres de risques, de parties prenantes doivent être également à jour.
Les dashboards, évitons de faire du copier-coller : mettons-les à jour régulièrement.
Travailler par itération et discipline pour maintenir constamment les informations divulguées à jour, les registres de risques, le suivi financier.
4) Seiketsu – 清潔 - Standardiser
Standardiser va de pair avec une recherche de l’efficacité.
Créer des templates, des procédures permettant d’éviter « de réinventer la poudre » constamment.
Pourquoi le PMI produit-il des Standards (Portefeuille, Programme, Risques, Earned Value ou autre) ? C’est dans un objectif d’efficacité, pour partager les meilleures approches entre tous.
Au niveau organisation, c’est :
- Confirmer la ou les méthodologies adoptées
- Divulguer les principes de bases
- Fournir des templates
À un niveau plus individuel, c’est également créer ses propres routines, templates pour gagner du temps, augmenter la cohérence de ses activités.
5) Shitsuke – 躾 - Accompagner
C’est le 5ᵉ concept qui permet d’accompagner, de contrôler les 4 autres.
C’est un peu le contrôle et l’accompagnement liés à l’exécution du projet, mais aussi les contrôles de qualité qui confirment que les processus sont suivis correctement.
Au niveau organisation, cela signifie réaliser des accompagnements, des audits réguliers pour confirmer la bonne utilisation des méthodologies.
D’un point de vue individuel, c’est une sorte d'autodiscipline, s’astreindre à l’utilisation des méthodologies, meilleures pratiques.
Qui n’a pas eu à affronter une difficulté simplement parce qu’un process, n’avait pas, exceptionnellement, été suivi ?
Kanban - 看板
À l’origine, le mot Kanban signifie étiquette.
C’est un système de gestion visuel qui permet de suivre le flux de travail et de gérer les tâches de manière efficace.
En gestion de projet, essentiellement dans le monde Agile, l'utilisation de tableaux Kanban peut aider :
- À visualiser le travail en cours
- À identifier les goulots d'étranglement
- Et à améliorer la communication au sein de l'équipe
Shoshin - 初 心 - État d’esprit du débutant
Shoshin est constitué de deux idéogrammes : 初 = débuter et 心 = le cœur, l’esprit.
C’est un concept du bouddhisme Zen qui consiste à dire qu’avoir un esprit novice toute sa vie est la meilleure manière de constamment progresser.
On peut le décomposer en plusieurs concepts :
1) Ouverture d'esprit
L’ouverture d’esprit est un point critique pour mieux comprendre l’autre et être plus efficace.
Et ce, dans un monde VUCA (Volatile, Uncertain, Complex & Ambiguous) ou BANI (Brittle = fragile, Anxious, Non-Linear, Incomprehensible), dans les contextes multiculturels et dans la gestion de parties prenantes diverses et variées.
2) Curiosité
Avoir constamment un esprit curieux aide à mieux comprendre les parties prenantes et à améliorer la communication.
Cela permet aussi d'approfondir constamment sa compréhension des procédures, méthodologies et systèmes.
3) Absence de préjugés
Approcher les situations sans idées préconçues permet de voir les choses telles qu'elles sont réellement, sans être influencé par des expériences passées ou des biais cognitifs.
Autant l’utilisation de leçons apprises est quelque chose d’important, autant la capacité à aborder des solutions avec un œil « neuf » est également essentiel dans le monde dynamique d’aujourd’hui.
Nous retrouvons ici une approche importante concernant la communication et la gestion des parties prenantes.
4) Apprentissage continu
C’est ici un concept déjà décrit : le Kaizen.
L’une des caractéristiques du débutant est la conscience qu’il a de devoir se perfectionner et continuer à apprendre.
Cette attitude encourage l'apprentissage continu, essentielle pour s'adapter aux changements et aux nouvelles informations tout au long du projet.
5) Humilité
Reconnaître que l'on ne sait pas tout et être prêt à apprendre des autres favorise une culture de collaboration et de respect au sein de l'équipe.
Même si le chef de projet doit avoir un certain leadership, le fait d’être conscient qu’il ne sait pas tout, qu’il dépend de l’expertise de l’équipe, valorise le travail de chacun et augmente l’efficacité de l’équipe.
Dojo-Kun - 道場訓 – Principes du Dojo
Le Dojo-Kun est une suite de recommandations liées aux arts martiaux japonais.
Nous allons ici utiliser celui du Karaté Shotokan, mais d’autres sont également applicables, comme ceux du Judo ou du Karaté Kyokushinkai.
1) Respect - 礼儀を重んずること - Chacun doit respecter les autres et l'étiquette
Le respect est une des règles de base pour la réussite de la gestion d’équipe et de la communication.
Écouter activement, accepter les idées de l’équipe parfois différentes sont des qualités essentielles.
Et certains diront, plus pragmatiquement, que respecter les délais, les budgets et la qualité des livrables est également indispensable.
Enfin, respecter aussi les procédures et règles propres à l’organisation.
2) Effort - 努力の精神を養うこと - Chacun doit entretenir un esprit d'effort
Un mot qui n’est peut-être pas à la mode. Cependant, la gestion d’un projet n’est pas « un long fleuve tranquille ».
Il faut parfois « donner un coup de collier » dans des moments intenses, faire des efforts pour comprendre des personnes, des situations ou des technologies différentes.
Lié à l’effort, nous avons également la persévérance, qui permet d’avancer pendant les moments de tension.
3) Perfection - 人格完成に努むること - Chacun doit s'efforcer d'atteindre la perfection
Dans la culture japonaise, le concept de Perfection est étroitement lié à celui de Kaizen ; en fait, la perfection n’est pas atteignable, l’important est le chemin à suivre.
Dans le domaine de la gestion de projets, l’idée est de s’efforcer à toujours faire mieux, améliorer les performances des projets, la qualité des livrables.
Toujours améliorer sa pratique et sa maîtrise des sujets associés.
4) Contrôle de soi - 血気の勇を戒むること - Chacun doit se garder d'un courage impétueux
La capacité à gérer ses émotions et à rester calme sous pression est importante pour prendre des décisions rationnelles.
C’est également un point clé dans la gestion des parties prenantes, la négociation et la bonne gestion d’éventuels conflits.
Pendant les COPIL, les CODIR ou lors de présentations critiques, maintenir son calme, gérer son émotionnel (et celui des autres !), sont des qualités essentielles pour un chef de projet.
5) Objectivité -誠の道を守ること - Chacun doit être loyal et protéger la voie de la vérité
« La voie de la vérité », c’est l’objectivité, la raison !
Que cela soit en amont, lors de la sélection des projets, ou pendant leur exécution, il est essentiel de collecter les informations importantes.
Ensuite, les analyser avec des critères clairs et prendre des décisions « rationnelles ».
Shu-Ha-Ri
L’approche Shu-Ha-Ri est clairement citée dans les approches Agiles, comme dans le Guide Pratique Agile du PMI.
Pour rappel, il y a trois niveaux :
1) Shu - 守 - Suivre les règles
Au départ, il faut suivre les instructions, les pratiques établies, et éviter de les remettre en question.
L’idée est d’incorporer peu à peu les concepts, les assimiler en profondeur.
En gestion de projet, cela signifie adhérer strictement aux méthodologies et aux processus définis pour construire une base solide de compétences.
2) Ha - 破 - Briser les règles
Une fois les bases maîtrisées, l'apprenant commence à comprendre les principes sous-jacents et à adapter les pratiques en fonction des besoins spécifiques du projet.
Cela peut impliquer de remettre en question les méthodes existantes et d'explorer des alternatives.
Commencer à travailler à l’amélioration des procédures et méthodologies existantes.
C’est un peu le moment où la gestion de projet, de technique, commence à devenir un art.
3) Ri - 離 - Transcender les règles
À ce stade, il est possible d’innover et de créer de nouvelles pratiques.
En gestion de projet, cela signifie que le professionnel peut personnaliser et améliorer les méthodologies pour optimiser les résultats.
C’est également un moment de la carrière où il est possible de s’orienter vers un nouveau rôle, PMO, gestionnaire de portefeuille, et recommencer un cycle de ShuHaRi !
Conclusion
Même si on peut considérer que la plupart des méthodologies de gestion de projets, programmes et portefeuilles ont une origine essentiellement anglo-saxonne, elles ont incorporé certains concepts venus d’Asie.
Et plus particulièrement du Japon, tels le Kanban, le Kaizen ou le ShuHaRi.
En tant que pratiquant d’arts martiaux, je retrouve également dans l’esprit de la gestion de projets des éléments développés sur les tatamis. Persévérance, lucidité, effort, par exemple.
En les incorporant à la gestion de projet, on obtient une approche, à la fois rigoureuse et souple, facteurs essentiels au succès dans le monde d’aujourd’hui !